aime la vie des champs, mais non
pas sans une compagne qui me fasse gouter les plaisirs de l'esprit et
du coeur, au sein de cette vie materielle ou l'effroi de la solitude
me gagnerait bientot. Peut-etre suis-je propre au mariage; j'aime les
enfants, je suis doux et range, je crois que je ferais un tres-honnete
bourgeois dans quelque ville du second ordre de notre paisible Helvetie.
Je pourrais me faire estimer comme cultivateur et pere de famille;
mais je voudrais que ma femme fut un peu plus lettree que celles qui
tricotent un bas bleu du matin au soir. Et moi-meme je craindrais de
m'abrutir en lisant mon journal et en fumant au milieu de mes dignes
concitoyens et des pots de biere; presque aussi simples et inoffensifs
les uns que les autres.
Enfin, il me faudrait trouver une femme inferieure a Sylvia, et
superieure a toutes celles que je pourrais obtenir, a ma connaissance.
Mais, avant tout, il faudrait guerir de l'amour que j'ai pour Sylvia, et
c'est une maladie dont mon ame est encore loin d'etre delivree.
Ne sachant que faire, je suis venu ici essayer encore mon destin.
D'abord j'avais l'intention de me jeter a ses pieds, comme a
l'ordinaire, et puis le caprice m'a pris de l'epier un peu, de consulter
l'opinion de ce qui l'entoure, de la connaitre, et de la voir enfin sans
qu'elle s'en doutat, afin de m'oter de l'esprit, une fois pour toutes,
les soupcons qui m'ont tourmente si souvent, et qui me tourmenteront
peut-etre encore; car Sylvia a un talent extraordinaire pour les faire
naitre, un mepris profond pour les explications les plus faciles, et moi
une pauvre tete qui se cree promptement des tourments cruels. Je n'ai pu
obtenir aucune des lumieres que je cherchais, car mon imperatrice Sylvia
n'est ici que depuis trois semaines, et on n'avait jamais entendu parler
d'elle dans le pays. Si elle savait que ces idees m'ont passe par la
tete, elle ne me pardonnerait jamais; mais elle le saura d'autant moins
que le cours de mes observations est a peu pres termine. Hier, elle
m'a reconnu sous mon deguisement et m'a accueilli d'une maniere fort
impertinente. Je serai donc oblige de me montrer. Jacques me connait et
me decouvrirait bientot. Ils riraient peut-etre ensemble a mes depens,
si je ne prenais le parti d'aller en rire moi-meme avec eux.
Ce Jacques est certes un galant homme, dont le caractere froid et
l'exterieur reserve ne m'ont jamais permis beaucoup de familiarite, et
contre lequel jusqu'ici je me suis s
|