s entieres, je contemple leur
sommeil si calme et ces faibles contractions des traits qui trahissent,
a ce que je m'imagine, l'existence de la pensee chez eux. Il y a, j'en
suis sur, de vagues reves des mondes inconnus dans ces ames encore
engourdies; peut-etre qu'ils se souviennent confusement d'une autre
existence et d'un etrange voyage a travers les nuees de l'oubli. Pauvres
etres, condamnes a vivre dans ce monde-ci, d'ou viennent-ils? seront-ils
mieux ou plus mal dans la vie qu'ils recommencent? Puisse-je leur en
alleger le poids pendant quelque temps! mais je suis vieux, et ils
seront encore jeunes quand je mourrai...
J'ai eu une legere contestation avec Fernande pour leurs noms; je la
laissais absolument libre de leur donner ceux qui lui plairaient, a
condition que ni l'un ni l'autre ne recevraient celui de sa mere,
et precisement elle desirait que sa fille s'appelat Robertine; elle
m'objectait l'usage, le devoir. J'ai ete presque oblige de lui dire que
son devoir etait de m'obeir; j'ai horreur de ces mots et de cette idee;
mais je hairais ma fille si elle portait le nom d'une pareille femme.
Fernande a beaucoup pleure en disant que je voulais la brouiller avec sa
mere, et elle s'est rendue malade pour cette contrariete. En verite, je
suis malheureux. Tu devrais venir pres de nous, mon amie; tu devrais
essayer de combattre l'influence que l'on exerce sur elle a mon
prejudice. Je ne sais pas si ma priere est indiscrete; tu ne m'as
rien dit d'Octave depuis bien longtemps, et comme il me semble que tu
affectes de ne m'en point parler, je n'ose pas t'interroger. S'il est
aupres de toi, si tu es heureuse, ne me sacrifie pas un seul des beaux
jours de ta vie; ces jours-la sont si rares! Si tu es seule, si tu n'as
pas de repugnance a venir, consulte-toi.
XXXIV.
DE SYLVIA A OCTAVE.
Des circonstances etrangeres a vous et a moi, et sur lesquelles il m'est
impossible de vous donner le moindre renseignement, me forcent a
partir, je ne saurais vous dire pour combien de temps. Je tacherais
de m'expliquer davantage et d'adoucir par des promesses ce que cette
nouvelle peut avoir pour vous de desagreable, si je croyais que votre
amour put supporter cette epreuve; mais, si legere qu'elle soit, elle
sera encore au-dessus de vos forces, et je ne prendrai point une peine
inutile, dont vous ririez vous-meme au bout de quelques jours. Vous
etes donc absolument libre de chercher les distractions qui vous
conviendront, je ne
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