e, tu ne seras pas
epargnee. Il serait bon de donner tout de suite a votre etrangere, aux
yeux du monde, un autre titre a votre intimite que celui d'amie et de
fille adoptive de M. Jacques. Il faudrait qu'il la fit passer pour ta
demoiselle de compagnie, et qu'elle ne montrat pas devant les etrangers
combien elle est familiere avec vous. Puisque ton mari ne veut reveler
sa naissance a personne, il pourrait faire un honnete mensonge, et dire
a l'oreille de plusieurs, en feignant de confier une espece de secret,
que Sylvia est sa soeur naturelle. Le secret passerait tout bas de
bouche en bouche et arreterait sur-le-champ les insolents commentaires.
Je te conseille d'en parler a ton mari, et de lui presenter mes craintes
comme venant de toi, et d'obtenir qu'il mette en ceci la prudence qui
convient. Je m'etonne qu'il ne l'ait pas eue de lui-meme. Peut-etre
qu'en effet Sylvia est sa soeur, et que c'est la precisement ce qu'il
veut cacher; mais comment a-t-il manque de confiance envers toi au point
de ne pas te le dire en secret?
XXXVII.
DE FERNANDE A CLEMENCE.
Ce que tu m'as conseille ne m'a pas reussi. Je n'ai expose a Jacques
qu'une bien petite partie des inconvenients que tu me signales, et il
m'a regardee d'un air stupefait en me disant: "Ou as-tu pris toute cette
prudence? Depuis quand t'inquietes-tu du monde a ce point?" Il a ajoute
d'un air triste: "Il est vrai que tu es destinee a y vivre. Je me suis
abuse en m'imaginant que tu t'ensevelirais avec moi dans cette solitude.
Tu sens deja le desir de te lancer dans la societe, et tu t'inquietes de
ce qui pourrait y gener ton entree. C'est tout simple.--Oh! ne crois
pas cela, Jacques, lui ai-je repondu; je ne serai heureuse que la ou tu
seras, et ou tu seras joyeux d'etre. Je ne pense jamais au monde, je
sais a peine ce que c'est; mais je parle dans l'interet de Sylvia et
dans le tien. Votre reputation a tous deux m'est plus chere que la
mienne." Jacques est reste quelque temps sans repondre, et j'ai remarque
cette legere contraction du sourcil qui chez lui exprime un depit
concentre. En meme temps, il y avait sur ses levres un sourire d'ironie,
et j'ai compris que ce que je disais lui semblait tres-ridicule dans ma
bouche. Cependant il a etouffe l'envie qu'il avait de me railler, et
il m'a repondu d'un air serieux et calme: "Il y a longtemps, ma chere
enfant, que j'ai rompu avec le monde. Il dependra de toi que je vive
encore au milieu de ses plaisirs et de so
|