e moi. Je gage
qu'avec toi, Clemence, il eut ete le plus heureux des hommes. Mais il
faudra qu'il se contente de sa pauvre folle de Fernande, car je ne suis
pas disposee a l'abandonner aux consolations d'une autre, pas meme aux
tiennes. Je te vois d'ici pincer les levres d'un petit air dedaigneux et
dire que j'ai bien mauvais ton; que veux-tu? quand on s'ennuie!
Ma mere m'ecrit lettres sur lettres, elle est reellement tres-bonne
pour moi; Jacques et toi, vous avez tort de lui en vouloir. Elle a des
defauts et des prejuges qui, dans l'intimite, la rendent quelquefois un
peu desagreable; mais elle a un bon coeur, et elle m'aime veritablement.
Elle s'inquiete de mon etat plus que de raison, et parle de venir
m'assister dans mes couches; je le desirerais pour moi, mais je crains
pour Jacques, qui ne peut pas la souffrir. Je suis malheureuse en tout;
pourquoi cette antipathie pour une personne qu'il connait assez peu
et qui n'a jamais eu que de bons procedes envers lui? cela me semble
injuste, et je ne reconnais pas la la calme et froide equite de Jacques.
Il faut donc que chacun ait son caprice, meme lui qui est si parfait et
a qui cela sied si peu!
XXXIII.
DE JACQUES A SYLVIA.
Ma femme est mere de deux jumeaux, un fils et une fille, tous deux forts
et bien constitues; j'espere qu'ils vivront l'un et l'autre. Fernande
les nourrit alternativement avec une nourrice, afin, dit-elle, de ne pas
faire de jaloux; elle est tellement occupee d'eux que desormais j'espere
qu'elle aura peu de temps pour s'affliger de tout ce qui leur sera
etranger. Maintenant elle reporte sur eux toute sa sollicitude, et je
suis oblige d'interposer mon autorite pour qu'elle ne les fasse pas
mourir par l'exces de sa tendresse: elles les reveille quand ils sont
endormis pour les allaiter, et les sevre quand ils ont faim; elle joue
avec eux comme un enfant avec un nid d'oiseaux; elle est vraiment bien
jeune pour etre mere! Je passe mes journees aupres de ce berceau; je
vois que deja, moi homme, je suis necessaire a ces creatures a peine
ecloses. La nourrice, comme toutes les femmes de sa classe, est remplie
d'imbeciles prejuges auxquels Fernande ajoute foi plus volontiers qu'aux
simples conseils du bon sens; heureusement elle est si bonne et si
douce, qu'elle accorde a une priere affectueuse ce que ne lui inspire
pas son jugement.
J'eprouve, depuis que j'ai ces deux pauvres enfants, une melancolie plus
douce; penche sur eux durant des heure
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