e a ma place?" Elle ne pouvait pas deviner plus juste. "Eh
bien, me dit-elle, changeons vite de cheval, et que Jacques te voie sur
son cher Chouiman au moment ou il s'y attend le moins." Nous etions
seules avec deux domestiques; Sylvia avait deja saute a terre et
tenait Chouiman par la bride, avant qu'un des deux butors qui nous
accompagnaient eut songe a quitter l'etrier. Au meme instant, le
sanglier, debusque par les chiens, vint droit a nous et passa a trois
pas de moi sans songer a attaquer personne; mais le cheval arabe eu
peur, se cabra et faillit renverser Sylvia, qui s'obstinai a ne pas lui
lacher la bride. Alors un homme qui me semblait etre un de nos piqueurs,
car il etait vetu a peu pres comme eux, sortit de je ne sais ou, et
retint le cheval pret a s'echapper. Je n'avais plus aucune envie de
l'essayer. Cet homme aida Sylvia a remonter; mais aussitot qu'elle fui
en selle, et comme il lui presentait sa bride, elle lui cingla les
doigts de sa cravache, en disant: _Ah! ah!_ d'une maniere qui semblait
exprimer la surprise et la moquerie. L'inconnu disparut comme il etait
venu au milieu des branches, et je demandai a Sylvia, avec une avide
curiosite, ce que cela signifiait. "Oh! rien repondit-elle, un piqueur
maladroit qui m'a ecorche la main avec ses bons offices.--Et tu
cravaches un homme pour cela? lui dis-je.--Pourquoi non?" dit-elle.
Puis elle repartit au galop, et je fus forcee de la suivre, assez peu
satisfaite de cette explication, et au moins tres-etonnee des manieres
de Sylvia avec les piqueurs de mon mari. Je demandai aux domestiques le
nom de cet homme; ils me dirent qu'ils ne l'avaient jamais vu.
La chasse nous occupa pendant plusieurs heures, et Sylvia semblait ne
pas avoir autre chose dans l'esprit. Je l'observais, car je soupconnais
un peu ce revenant d'etre quelque amant au desespoir. Ce qui se passa au
retour de la chasse me rejette dans de nouvelles incertitudes.
Nous revenions par la traverse aux premieres clartes le la lune; c'etait
une des plus belles soirees que nous ayons eues cette annee. Il faisait
un peu frais; mais le paysage etait si bien eclaire, l'air etait si
parfume des plantes aromatiques qui croissent dans les ruisseaux, le
rossignol chantait si bien, que j'etais vraiment disposee aux idees
romanesques. Jacques proposa de prendre un chemin encore plus court que
celui que nous suivions. "Il est assez difficile pour les chevaux, me
dit-il, et je n'ai pas encore ose t'y conduire;
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