nverses, tant
de ruines et un si epouvantable silence de mort? Qu'ai-je fait pour
rester ainsi seul et debout au milieu des debris de tout ce que j'ai cru
posseder? Mon souffle fait-il tomber en poussiere tout ce oui rapproche?
Je n'ai pourtant rien brise, rien profane; j'ai passe en silence devant
les oracles imposteurs, j'ai abandonne le culte qui m'avait abuse sans
ecrire ma malediction sur les murs du temple; personne ne s'est retire
d'un piege avec plus de resignation et de calme. Mais la verite que je
suivais secouait son miroir etincelant, et devant elle le mensonge et
l'illusion tombaient, rompus et brises comme l'idole de Dagon devant la
face du vrai Dieu; et j'ai passe en jetant derriere moi un triste regard
et en disant: "N'y a-t-il rien de vrai, rien de solide dans la vie, que
cette divinite qui marche devant moi en detruisant tout sur son passage
et en ne s'arretant nulle part?"
Pardonne-moi ces tristes pensees, et ne crois pas que j'abandonne ma
tache; plus que jamais je suis determine a accepter la vie. Dans deux
mois je serai pere; je n'accueille point cette esperance avec les
transports d'un jeune homme, mais je recois cet austere bienfait de
Dieu avec le recueillement d'un homme qui comprend le devoir. Je
ne m'appartiens plus, je ne donnerai plus a mes tristes pensees la
direction qu'elles eurent souvent; je ne saurais m'abandonner a ces
joies pueriles de la paternite, a ces reves ambitieux dont je vois les
autres occupes pour leur posterite; je sais que j'aurai donne la vie
a un infortune de plus sur la terre, voila tout. Ce que j'ai a faire,
c'est de lui enseigner comment on souffre sans se laisser avilir par le
malheur.
J'espere que cet evenement distraira Fernande et dirigera toutes ses
sollicitudes vers un but plus utile que de tourmenter et d'interroger
sans cesse un coeur qui lui appartient et qui ne s'est rien reserve en
s'abandonnant a elle; si elle n'est pas guerie de cette maladie morale
lorsqu'elle aura son enfant dans les bras, il faudra que tu viennes
t'asseoir entre nous, Sylvia, pour rendre notre vie plus douce, et
prolonger autant que possible ce demi-amour, ce demi-bonheur qui nous
reste. J'espere de ta presence un grand changement: ton caractere fort
et resolu etonnera Fernande d'abord, et puis lui fera, je n'en doute
pas, une impression salutaire; tu protegeras mon pauvre amour contre les
conseils de sa pusillanimite, et peut-etre contre ceux de sa mere. Elle
recoit des lettres
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