le, et je ne le suis pas.
XXXI.
DE JACQUES A SYLVIA.
Il semble que Fernande caresse maintenant ses puerilites, elle en
rougissait d'abord, elle les cachait; je feignais, pour menager son
orgueil, de ne pas m'en apercevoir, je pouvais alors esperer qu'elle les
vaincrait; a present elle les montre ingenument, elle en rit, elle s'en
vante presque; j'en suis venu a m'y plier entierement, et a la traiter
comme un enfant de dix ans. Oh! si j'avais moi-meme dix ans de moins,
j'essaierais de lui montrer qu'au lieu d'avancer dans la vie morale elle
recule, et perd, a ecarter les moindres epines de son chemin, le temps
qu'elle pourrait employer a s'ouvrir une nouvelle route, plus belle et
plus spacieuse, mais je crains trop le role de pedant et je suis trop
vieux pour le risquer. Il y a quelques jours, je lui parlai de toi et
du desir que j'avais de t'attirer pour quelque temps pres de nous; les
questions qu'elle me fit sur ton age et sur ta figure me montrerent
assez ses perplexites, et elle finit par me demander un serment solennel
qui lui assurat que je n'avais pour toi que les sentiments d'un frere.
Elle ne trouva pas dans son coeur, dans son estime pour moi, une
garantie assez forte contre ces miserables soupcons; elle me crut
capable de l'avilir et de la desesperer pour mon plaisir! elle
s'abandonna a ces craintes tout un jour, et quand j'eus fait le serment
qu'elle exigeait, elle se trouva parfaitement contente. Helas! toutes
les femmes, excepte toi, Sylvia, se ressemblent donc! J'ai fait avec
douceur ce que demandait Fernande, mais j'ai cru relire un des eternels
chapitres de ma vie.
Oh! qu'elle est insipide et monotone cette vie en apparence si agitee,
si diverse et si romanesque! Les faits different entre eux par quelques
circonstances seulement, les hommes par quelques varietes de caractere;
mais me voici, a trente-cinq ans, aussi triste, aussi seul au milieu
d'eux que lorsque j'y fis mes premiers pas; j'ai vecu en vain. Je n'ai
jamais trouve d'accord et de similitude entre moi et tout ce qui existe;
est-ce ma faute? est-ce celle d'autrui? Suis-je un homme sec et depourvu
de sensibilite? ne sais-je point aimer? ai-je trop d'orgueil? Il me
semble que personne n'aime avec plus de devouement et de passion; il me
semble que mon orgueil se plie a tout, et que mon affection resiste aux
plus terribles epreuves. Si je regarde dans ma vie passee, je n'y vois
qu'abnegation et sacrifice; pourquoi donc tant d'autels re
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