t entassees, quoique
d'occasion seulement, remarquez-le bien, quoique jetees la sans dessein
de les faire ressortir, et d'un bout a l'autre eclairees d'un meme
reflet sentimental. Mais le monde habituel de Prevost, c'est le monde
honnete et poli, vu d'un peu loin par un homme qui, apres l'avoir
certainement pratique, l'a regrette beaucoup du fond de la province et
des cloitres; c'est le monde delicat, galant et plein d'honneur, tel que
Louis XIV aurait voulu le fixer, comme Boileau et Racine nous en ont
decore l'ideal, qui est a portee de la cour, mais qui s'en abstient
souvent; ou Montausier a passe, ou la Regence n'est point parvenue.
Prevost tourne en plein ses recits au noble, au serieux, au pathetique,
et s'enchante aisement. Son roman,--oui, son roman, nonobstant la fille
de joie et l'escroc que vous en connaissez, procede en ligne assez
directe de l'_Astree_, de la _Clelie_ et de ceux de madame de La
Fayette. De composition et d'art dans le cours de son premier ouvrage,
non plus que dans les suivants, il n'y en a pas l'ombre; le marquis
raconte ce qui lui est arrive, a lui, et ce que d'autres lui ont raconte
d'eux-memes; tout cela se mele et se continue a l'aventure; nulle
proportion de plans; une lumiere volontiers egale; un style delicieux,
rapide, distribue au hasard, quoique avec un instinct de gout inapercu;
enjambant les routes, les intervalles, les preambules, tout ce que nous
decririons aujourd'hui; voyageant par les paysages en carrosse bien
roulant et les glaces levees; sautant, si l'on est a bord d'un vaisseau,
sur _une infinite de cordages et d'instruments de mer_, sans desirer
ni savoir en nommer un seul, et, dans son ignorance extraordinaire,
s'epanouissant mille fois sur quelques scenes de coeur, renouvelees
a profusion, et dont les plus touchantes ne sont pas meme encadrees.
L'ouvrage se partage nettement en deux parts: l'auteur, voyant que la
premiere avait reussi, y rattacha l'autre. Dans cette premiere, qui est
la plus courte, apres avoir moralise au debut sur les grandes passions,
les avoir distinguees de la pure concupiscence, et s'etre efforce d'y
saisir un dessein particulier de la Providence pour des fins inconnues,
le marquis raconte les malheurs de son pere, les siens propres, ses
voyages en Angleterre, en Allemagne, sa captivite en Turquie[96], la mort
de sa chere Selima, qu'il y avait epousee et avec laquelle il etait venu
a Rome. C'est l'inconsolable douleur de cette perte qui lui fait
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