bien
une demarche amicale pour lui rouvrir les portes; mais Prevost, deja
parti, n'en fut pas informe. Ce grand pas une fois fait, il dut en
accepter toutes les consequences. Riche de savoir, rompu a l'etude,
propre aux langues, regorgeant, en quelque sorte, de souvenirs et
d'aventures eprouvees ou recueillies qui s'etaient amassees en lui
dans le silence, il saisit sa plume facile et courante pour ne la plus
abandonner; et par ses romans, ses compilations, ses traductions, ses
journaux, ses histoires, il s'ouvrit rapidement une large place dans le
monde litteraire. Sa fuite est de 1727 ou 1728 environ; il avait trente
et un ans, et demeura ainsi hors de France au moins six annees, tant
en Hollande qu'en Angleterre. Des les premiers temps de son exil, nous
voyons paraitre de lui les _Memoires d'un Homme de qualite_, un volume
traduit de l'_Histoire universelle_ du president de Thou, une _Histoire
metallique du royaume des Pays-Bas_, egalement traduite. _Cleveland_
vint ensuite, puis _Manon_, et _le Pour et Contre_, dont la publication
commencee en 1733 ne finit qu'en 1740. Prevost etait deja rentre en
France lorsqu'il publia _le Doyen de Killerine_, en 1735. Comme ceci
n'est pas un inventaire exact, ni meme un jugement general des nombreux
ecrits de notre auteur, nous ne nous arreterons qu'a ceux qui nous
aideront a le peindre.
Les _Memoires d'un Homme de qualite_ nous semblent sans contredit, et
_Manon_ a part, _Manon_ qui n'en est du reste qu'un charmant episode par
post-scriptum,--nous semblent le plus naturel, le plus franc, le mieux
conserve des romans de l'abbe Prevost, celui ou, ne s'etant pas encore
blase sur le romanesque et l'imaginaire, il se tient davantage a ce
qu'il a senti en lui ou observe alentour. Tandis que, dans ses romans
posterieurs, il se perd en des espaces de lieu considerables et se prend
a des personnages d'outre-mer, qu'il affuble de caracteres hybrides et
dont la vraisemblance, contestable des lors, ne supporte pas un coup
d'oeil aujourd'hui, dans ces Memoires au contraire il nous retrace en
perfection, et sans y songer, les manieres et les sentiments de la bonne
societe vers la fin du regne de Louis XIV. Le cote satirique que prefere
Le Sage manque ici tout a fait; la grossierete et la licence, qui se
faisaient jour a tout instant sous ces beaux dehors, n'y ont aucune
place. J'omets toujours _Manon_ et son Paris du temps du _Systeme_, son
Paris de vice et de boue, ou toutes les ordures son
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