C'est a ce moment que Montalte s'approcha d'elle.
Pendant qu'il se courbait, elle l'etudiait d'un coup d'oeil prompt et
sur, et, tout de suite, pour bien marquer, des le debut, la distance
infranchissable qu'elle entendait etablir entre eux, cette femme
etrange, qui semblait echapper a toutes les faiblesses, a toutes les
fatigues, se redressa en une majestueuse attitude, et d'une voix qui ne
tremblait pas:
--Vous avez a me parler, cardinal? Je vous ecoute.
En meme temps ses yeux noirs se posaient sur ceux de Montalte,
etrangement dominateurs et pourtant graves et doux.
Alors Montalte, d'une voix basse et tremblante, lui annonca qu'elle
etait libre.
--Sixte-Quint me fait donc grace?
Montalte secoua la tete:
--Le pape n'a pas fait grace, madame. Le pape a cede devant une volonte
plus forte que la sienne.
--La votre... n'est-ce pas?
Montalte s'inclina.
--Alors Sixte-Quint revoquera la grace qu'il a signee par contrainte.
--Non, madame, car, en meme temps, j'ai obtenu de Sa Saintete un
document qui sera votre egide. Le voici.
Fausta prit le parchemin et lut:
"Nous, Henri, par la grace de Dieu, roi de France, inspire de notre
Seigneur Dieu, par la voix de Son Vicaire, notre Tres Saint Pere le
Pape; en vue de maintenir et conserver en notre royaume la religion
catholique, apostolique et romaine; attendu qu'il a plu au Seigneur,
en expiation de nos peches, de nous priver d'un heritier direct;
considerant Henri de Navarre incapable de regner sur le royaume de
France, comme heretique et fauteur d'heresie; a tous nos bons et loyaux
sujets: Sa Majeste Philippe II, roi d'Espagne, est seule apte a nous
succeder au trone de France, comme epoux d'Elisabeth de France, notre
soeur bien-aimee, decedee, mandons a tous nos sujets le reconnaitre
comme notre successeur et unique heritier."
--Madame, dit Montalte, lorsqu'il vit que Fausta avait termine
sa lecture, la parole du roi ayant en France force de loi, cette
proclamation jette dans le parti de Philippe les deux tiers de la
France. De ce fait, Henri de Bearn, abandonne par tous les catholiques,
voit ses esperances a jamais detruites. Son armee reduite a une poignee
de huguenots, il n'a d'autre ressource que de regagner promptement son
royaume de Navarre, trop heureux encore si Philippe consent a le lui
laisser. Celui qui apportera ce parchemin a Philippe lui apportera donc
en meme temps la couronne de France... Celui-la, madame, si c'est un
esprit su
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