age,
qu'on est plus exigeant sur la quantite que sur la qualite: sans etre un
Berquin, un conteur de bonne volonte amuse et instruit facilement a la
fois des intelligences neuves et impressionnables; il suffit de savoir
se faire ecouter, et bientot on a un auditoire plus attentif, plus
silencieux, plus fidele, que celui de toutes les academies du monde; car
l'interet du recit tient lieu d'eloquence.
Or, voyez comme a mon insu j'ai contracte l'engagement eternel de faire
des contes aux enfants, moi qui ai rempli ma longue carriere d'etudes
speciales, arides et monotones, moi qui journellement amasse dans ma
memoire des dates et des materiaux historiques! Neanmoins, je n'ai
jamais eu la maladresse et l'incurie de trainer mes contes dans la
route battue des enfantillages frivoles, niais ou absurdes; j'accorde
a l'enfance plus d'estime qu'on ne fait dans bien des systemes
d'education, et je tache toujours de l'elever, au lieu de la rabaisser.
Je ne lui prete pas mon dos pour y monter a cheval, comme Henri IV
lui-meme m'en donne l'exemple; je ne vais pas, debile et casse que je
suis, me meler a des jeux bruyants qui demandent une petulance et une
vivacite que j'ai perdues depuis nombre d'annees; aussi bien, vaut-il
mieux mettre l'enfance a notre portee que de descendre a la sienne, et
ce serait presomption temeraire que de lutter avec elle de souplesse
et d'activite, quand nous ne voyons pas sans lunettes, quand nous ne
marchons pas sans canne.
Selon mon systeme, justifie par la pratique, je tends toujours a
developper l'intelligence, qui suit rarement les progres de la force
physique, et je me plais a cultiver les fruits precoces de l'esprit dans
leur naive saveur. On a le tort, en general, de priver de lumiere ce
qui n'aspire qu'a germer et a croitre; on prolonge l'enfance, et moi je
travaille a la rendre plus courte; je hate la jeunesse, au lieu de
la retarder; car, pour augmenter la vie de l'homme, il suffit de la
commencer plus tot, et la vie ne commence reellement qu'avec la pensee.
Apprenons donc, de bonne heure, aux enfants, a penser.
Les enfants ne sont pas, d'ordinaire, si legers et si insouciants
qu'on les suppose pour toute espece de notions serieuses, utiles et
raisonnees; leur memoire manque de discernement et de choix, mais elle
retient les faits, lorsqu'on a pris soin de les revetir d'une forme
attrayante, lorsqu'on s'adresse a cette curiosite passionnee, qui
precede l'age des passions et qu'on ne song
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