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Le groupe des deputes traversa en silence la foule amassee sur le
Carrousel, et se presenta aux portes des Tuileries. On leur en refusa
l'entree; ils insisterent; alors un detachement les repoussa, et les
poursuivit jusqu'a ce qu'ils fussent disperses: triste et deplorable
spectacle, qui presageait la prochaine et inevitable domination des
pretoriens! Pourquoi fallait-il qu'une faction perfide eut oblige
la revolution a invoquer l'appui des baionnettes? Les deputes ainsi
poursuivis se retirerent, les uns chez le president Lafond-Ladebat,
les autres dans une maison voisine. Ils y deliberaient en tumulte, et
s'occupaient a faire une protestation, lorsqu'un officier vint leur
signifier l'ordre de se separer. Un certain nombre d'entre eux furent
arretes; c'etaient Lafond-Ladebat, Barbe-Marbois, Troncon-Ducoudray,
Bourdon (de l'Oise), Goupil de Prefeln, et quelques autres. Ils furent
conduits au Temple, ou deja les avaient precedes les membres des deux
commissions.
Pendant ce temps, les deputes directoriaux s'etaient rendus au nouveau
lieu assigne pour la reunion du corps legislatif. Les cinq-cents
allaient a l'Odeon, les anciens a l'Ecole de Medecine. Il etait midi
a peu pres, et ils etaient encore peu nombreux; mais le nombre s'en
augmentait a chaque instant, soit parce que l'avis de cette convocation
extraordinaire se communiquait de proche en proche, soit parce que tous
les incertains, craignant de se declarer en dissidence, s'empressaient
de se rendre au nouveau corps legislatif. De momens en momens, on
comptait les membres presens; et enfin, lorsque les anciens furent au
nombre de cent vingt-six, et les cinq cents au nombre de deux cent
cinquante-un, moitie plus un pour les deux conseils, ils commencerent
a deliberer. Il y avait quelque embarras dans les deux assemblees, car
l'acte qu'il s'agissait de legaliser etait un coup d'etat manifeste. Le
premier soin des deux conseils fut de se declarer en permanence, et
de s'avertir reciproquement qu'ils etaient constitues. Le depute
Poulain-Grandpre, membre des cinq-cents, prit le premier la parole. "Les
mesures qui ont ete prises, dit-il, le local que nous occupons, tout
annonce que la patrie a couru de grands dangers, et qu'elle en court
encore. Rendons graces au directoire: c'est a lui que nous devons le
salut de la patrie. Mais ce n'est pas assez que le directoire veille; il
est aussi de notre devoir de prendre des mesures capables d'assurer le
salut public et la co
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