de ce soupcon, maltraitaient le pauvre paysan ou
l'ecartaient durement de leur chemin; il se defendait en donnant des
coups de pied a droite et a gauche, mais il avait affaire a si forte
partie, qu'il ne paraissait presque plus jamais sur le pont du navire
sans avoir un oeil poche ou le nez ecorche.
C'etait surtout le Francais aux moustaches rousses qui le poursuivait
sans cesse. Donat s'etait mis en tete que son premier oppresseur etait
aussi le voleur de ses billets, et le Francais pouvait lire ce soupcon
dans ses yeux. Un jour, qu'il avait de nouveau frappe cruellement le
pauvre garcon au visage, Victor etait accouru et avait defendu son
compatriote; Jean Creps etait intervenu, et ainsi une rixe violente
s'etait elevee sur le pont. Le capitaine, apres avoir entendu les
explications de part et d'autre, avait fait mettre le Francais pour deux
jours au cachot. Depuis ce moment, la moustache rousse nourrit une haine
furieuse contre Kwik et lui suscita, par ses camarades, toutes sortes de
tourments.
Cependant _le Jonas_ poursuivait sa route avec un vent tres-favorable.
On commenca a compter les jours, et lorsque le capitaine annonca enfin
qu'on allait atteindre la baie de San-Francisco, la fievre de
l'impatience gagna tous les passagers.
Une apres-midi que le ciel etait tres-nebuleux, les deux amis etaient
assis avec Donat dans l'entre-pont de la seconde classe et
s'entretenaient avec animation du terme prochain de leur long voyage
et de leur debarquement dans le pays de l'or.
--Quant a moi, disait Creps, je ramasse autant d'or que je puis. J'en
donne la moitie a mon pere, pour qu'il ne soit plus oblige de travailler
dans ses vieux jours; j'achete a mon frere un magasin de denrees
coloniales, et je donne a chacune de mes soeurs une dot de cinquante
mille francs!
--Et vous-meme, demanda Donat, que garderez-vous donc pour vous?
--Bah! je n'ai besoin de rien, repondit Jean. Ce n'est pas pour devenir
riche que je suis venu en Californie. Pourvu que je puisse vivre libre
et independant, et ne plus voir de pupitre devant mes yeux, je suis
content. Et si le gout des richesses me prenait un jour, je pourrais
toujours revenir en Californie.
--Savez-vous ce que je ferai, moi? s'ecria Donat Kwik. Je ne retourne
pas a la maison avant d'avoir tout un sac a froment plein d'or. Alors,
j'achete un chateau aux environs de Natten-Haesdonck, et je vais y
demeurer avec Anneken et son pere. Il y aura la tout ce qu'il y a de
bo
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