st le seul qui ait obtenu du Mont-de-piete un pret sur de la
litterature.
LE BON CHEVALIER DE FRILEUSE
M. le chevalier de Frileuse etait le plus galant homme de ce monde. Il
en etait egalement le plus heureux, non pas que le long de sa route il
n'eut ete ca et la accroche par quelques buissons d'epines, mais les
plus piquantes s'emoussaient sur la peau de philosophe qu'il s'etait
faite. Et qui dit peau de philosophe parle d'un cuir a toute epreuve.
Le chevalier avait beaucoup d'esprit, mais plus encore de prudence.
Aussi ne connaissait-on de lui qu'un seul trait malin, qui etait d'avoir
vecu cinquante-quatre ans sans offenser personne. Ce trait d'esprit
devenait d'ailleurs incontestable pour quiconque savait les ruses
admirables au moyen desquelles M. de Frileuse etait parvenu a rester
celibataire. Rien qu'a la facon dont il abordait une veuve, vous
l'eussiez proclame grand politique. Et cependant on se prenait a l'aimer
quand on le voyait passer de son pied leger, la tete droite, eclairant
tout de son fin sourire, et s'appuyant sur sa belle canne a pomme
d'argent. On sentait bien que cette canne-la n'etait que pour la forme,
et qu'il n'avait pris l'habitude de l'emporter que pour la mettre sous
son bras des qu'il etait sorti de la ville. Bien mieux, j'ai toujours
garde, je l'avoue, des doutes tenaces sur la blancheur eblouissante de
son epaisse chevelure, et n'etait le respect pour une venerable memoire,
je dirais que les neiges m'en ont souvent paru empruntees. Il est clair
pour moi que M. de Frileuse se teignait en blanc, et qu'a la verite il
avait les cheveux les plus audacieusement noirs du monde. Explique qui
pourra cette coquetterie toute diplomatique.
Le chevalier n'etait pas plus royaliste qu'il n'est permis, mais il
tenait extremement a son blason, jusque-la sans tache, non par vanite
nobiliaire, mais par respect d'heritier responsable. Il se fut appele
Balourdot qu'il en eut ete tout a fait de meme. Comme il vivait tres
retire a cause de son modeste patrimoine, il voyait peu de gens et ne
mettait le pied dans les chateaux voisins qu'a de rares exceptions et
quand de hautes convenances l'exigeaient. Mais, pour vivre obscurement,
il ne cachait point sa vie, bien au contraire. Il connaissait
l'apophthegme indou: "Si tu veux vivre inapercu, prends une maison de
verre." Il avait la maison de verre. Cependant il y demeurait rarement,
et au premier rayon de bon soleil il se mettait en route, persuade
|