randade, y elever le porc et les poules, et vivre
la jusqu'a mourir, "sans homme", tel etait le reve du petit singe.
L'arrondissement de sa pelote lui eut permis de le realiser plus d'une
fois, car la place etait bonne entre les meilleures, mais toujours,
au moment du depart, la "tuile" tombait dans le potage. Incapable de
resister au moindre beguin, la patronne y usait tous les protecteurs. Du
sein ouate de l'opulence, on retombait aux maigres bras de la deche,
et Pepetta grincait en se grattant les crins: "Madame vient encore
de perdre sa position!" Et elle vidait sa reserve sur les genoux de
Geraldine, le seul etre humain qu'elle aimat. Helas! le pauvre bastidon
"sans homme", quand y battrait-elle la brandade?
Or, c'etait le temps ou Tacoman V, futur roi de Chaonie, n'etait
encore que le prince Omar, dit prince Ecrevisse dans les revues de fin
d'annee--on devine aisement pourquoi si on en a vu une--et etudiait chez
nous cet art de connaitre les hommes dont la base est le noctambulisme.
Au cours de ses libres recherches, celui qui promene les
Haroun-al-Raschid dans les Bagdad lui fit, un soir, en l'un des grands
bars de la Republique, rencontrer en Geraldine sa Baudroubouldour
eternelle. Il la vit et l'aima. Et comme ce seigneur etait un homme d'un
esprit infini, il sentit que, precisement parce qu'il l'aimait, il n'en
serait pas aime. Il se prepara donc a etre tres malheureux, ou, si l'on
veut, a aimer seul, car c'est la meme chose.
Elle s'etonnait elle-meme, que dis-je? elle s'irritait, la bonne
creature, de lui etre si rebelle, et, peu versee dans la theorie de son
art, elle n'entendait rien a ce qui lui arrivait.
--Comme c'est drole, Pepetta, celui-la ne me dit rien du tout. Il est
pourtant prince!
Mais la guenuche se mefiait, d'instinct, rien, selon son adage familier,
n'etant plus rosse que la nature.
Chaque annee, au retour de sa fete--car il y a des saints pour tous les
chretiens--Geraldine s'offrait une joie professionnelle dont la saveur
est paradisiaque. Ce jour-la elle couchait seule. Elle redevenait
Aldine Gerat pour vingt-quatre heures. Pour se preparer a ce spasme
commemoratif, elle allait d'abord a la messe, et, si elle se trouvait en
fonds, elle versait sa bourse grande ouverte dans le tronc des pauvres.
Apres quoi, elle se rendait au Louvre, le musee, s'entend celui "ou l'on
ne va jamais, on ne sait pourquoi", puis, apres une lente promenade
le long des quais de la Seine, "le plus beau pays
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