te. Jacquemine, silencieuse a l'ordinaire, les harcelait
de questions bizarres, leur ecartait les cheveux sur le front, leur
prenait les mains et les gardait entre les siennes, allait les ecouter
dormir, veillait a ce que leurs vetements fussent en bon etat; enfin,
elle semblait quelque vieille poule soignant les poussins d'une autre.
Quand ils partirent, elle pleura.
Pour le coup, ses sept enfants se facherent, et ils lui adresserent des
reproches. Ils etaient jaloux:
--Sont-ils donc du meme sang que nous, pour que tu te lamentes du depart
de ces "hossoueres"? (etrangers), que tes sept enfants ne te suffisent
plus? Tu n'en as que pour eux, et les voila deteles sans qu'ils t'aient
tant seulement payee d'un "merci, madame"!
Eyrnaud mourut a la Saint-Michel derniere, et dans un mois on embauchera
a la ferme, pour les moissons d'aout.
Il en viendra de Pleurtruit, de Ploubalay et de Plouher, de Saint-Caast
et de Saint-Jacut, des solides et des malingres, des paresseux et des
braves, et Jacquemine entre eux choisira. Mais pour ce qui est de ceux
de Saint-Brieuc, ou est l'asile des Enfants-Trouves, elle ne choisira
pas, elle les engagera tous, et s'ils ont vingt-deux ans, ni plus ni
moins, et au prix qu'ils y mettront encore. Eyrnaud n'est plus la pour
parer a ce vertigo de charite. Et si les sept enfants se fachent, les
sept enfants se facheront, il n'en ira ni mieux ni pis, et ce sera tout
comme. Voici pourquoi:
Il y a vingt-deux ans, Jacquemine n'etait pas encore mariee, ni veuve.
Elle s'appelait Morizot, du nom de ses pere et mere, et elle etait jeune
fille, belle jeune fille voire: les anciens se la rappellent et ils
l'ont encore dans les yeux. Sans compter qu'elle etait aussi vive et
chansonniere, en ce temps-la, qu'elle est, aujourd'hui, triste et
taciturne. Un voyageur de commerce, qui vendait des rubans et des
fanfreluches, la rencontra, une vespree, au detour d'une sente. Il
l'enjola, lui donna des cravates de couleur et, finalement, la poussa
sur une botte de paille. Ce qu'il est devenu, nul ne le sait et personne
n'en a cure. Il faut que jeunesse se passe. Papa Morizot, d'ailleurs,
n'en fit que rire, et la mere de meme. Seulement, quand l'enfant arriva,
neuf mois apres, au jour requis, ils sellerent l'ane, mirent l'enfant
dans une manne et allerent le porter a Saint-Brieuc, ou il y a un
hospice pour les malvenus. Au retour, ils embrasserent leur chere
Jacquemine, la soignerent, la guerirent, et quand ell
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