ur le rabat. Ils voterent dans
sa barrette, sur une feuille de papier de contributions dechiree en dix
morceaux et que le cabaretier avait encore dans sa poche.
Au releve, l'octogenaire etait condamne par six voix, et, par quatre,
le sabotier, malheureux homme des bois, qu'ils connaissaient a peine
et pour le voir une fois l'an, a la foire, les jours de fete de la
paroisse.
--C'est bon, fit-il, on ira, mais qu'est-ce que je vous ai fait?
Le vieillard de quatre-vingts ans n'y mit pas le meme fatalisme. C'etait
un paysan sournois qui passait pour tres riche et a qui on ne savait pas
d'heritiers.
--L'innocent n'a pas vote, ca ne compte pas. On n'etait pas onze dans la
barrette.
Sur cette chicane la querelle s'engagea, sinistre, autour des cierges
qui semblaient bruler pour un autodafe.
--L'idiot ne sait ni lire ni ecrire. Puisqu'il est le troisieme, il
n'a pas a designer les deux autres. Ce n'est pas de jeu, glapissait
l'octogenaire, vous etes des miserables, nous sommes onze, onze,
onze!...
--Le vote est acquis.
--Oui, oui!
--Non!
--Si!
--C'est abominable, pire que chez des loups, on n'a encore pas vu ca
sur la terre! Fusiller un vieil homme de quatre-vingts ans! Grace, mes
amis.... Tenez, qu'est-ce que vous voulez que je donne a M. le cure pour
ses pauvres, pour son eglise, pour vous?
--Assez, assez, c'est la justice. On a vote. Nous sommes en Republique.
Pour depeindre ce qui se passa alors dans cette eglise de village, il
faudrait un Balzac ou un Shakespeare. Je ne l'essaierai pas. A la bouche
de l'enfer on n'entend pas de pareilles imprecations. L'octogenaire,
les poils herisses, et tel un sanglier accule dans sa bauge, vomissait,
contre ses juges, le torrent des accusations de vol, d'usure, de
debauche, d'assassinats, toute l'histoire de la commune, de peres en
fils, sur dix generations. C'etait le carnet du diable. Ah! oui, ils
meritaient d'etre tous fusilles par les Prussiens, et brules vifs, eux,
et leurs meres, et leurs femmes, et leurs batards, toute la vermine et
la racaille.
L'idiot dansait de joie autour du benitier. Le pretre s'etait evanoui.
A l'aube, le portail s'ouvrit et les trois victimes furent livrees. Le
peloton de douze fusils etait deja range sur place. Le capitaine disposa
lui-meme, et le dos tourne, les condamnes, 1e vieux qui paraissait
tomber en lambeaux, le sabotier qui se signait a tour de bras et le
porte-bonheur du village, et rapidement il leva son epee.
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