le avait a la main
une branche de pin garnie encore de ses trois pommes en couronne, et qui
brulaient. Qu'allait-elle faire de ce brandon?
Je ne pouvais croire qu'elle voulut mettre le feu a la demeure rivale,
fut-ce pour contraindre le bandit a en sortir. Au moindre coup de vent
c'etait l'incendie dans Sartene. Pourtant elle allait, dans la
fumee crepitante de la resine, la torche baissee, comme les anges
exterminateur de la Bible. J'interrogeai don Cesar d'un regard.
--Oui, repondit-il, vengeance de femme. Mais elles n'ont pas le fusil.
Et puis, son gamin, le petit Orso, n'a que six mois a peine. Peut-elle
attendre qu'il ait l'age requis de ramasser la carabine des Gravona?
Vingt et un ans, c'est trop long pour Theresa Brandi, une fiere fille,
une vraie Corse, et de la tete aux pieds. Du reste, ne craignez rien,
Giuseppe ne laissera pas bruler Sartene, il va sortir.
La porte s'ouvrit, en effet, et il y parut une vieille, qui, les bras
etendus comme une aveugle, s'avanca sur le perron en terrasse.
--Si c'est a moi que tu as a parler, clama-t-elle en patois corse,
je t'ecoute. Si c'est a mon fils, il n'est pas chez lui, et tu sais
pourquoi.
--Comment mens-tu, a ton age, femme sans yeux? Je l'ai vu de ma fenetre,
assis a tes genoux, et tenant l'echeveau de ton rouet.
--Il est vrai qu'il y est venu. Il etait affame et rompu de fatigue.
Je lui ai fait une soupe, il a dormi deux heures dans un lit et il
est reparti apres avoir embrasse sa mere. Du reste, entre et cherche
toi-meme. Voici les clefs.
Et elle lui en jeta le trousseau.
Theresa revint a ses parents et cousins, et elle les consulta. L'un
d'eux, un berger du Niolo, couvert de son "pelone" en poils de chevre
et qui semblait fort ecoute des autres, fit trois pas en avant et dit a
voix haute:
--Giulia Tafani, si ton fils n'est point dans sa maison, ou est-il?
Veux-tu, le dire a moi, Pierre Gravona, du Monte Cinto. Tu me connais,
tu sais que je ne revelerai pas le secret aux gendarmes.
--Eh bien, il est la, en face.
Et l'aveugle montra de l'index la maison des Gravona, qu'habitait la
veuve.
Giuseppe s'y etait, en effet, refugie. Il faut avoir constate par
soi-meme combien la loi de l'hospitalite est puissante dans l'ile
de Sampierro et de Paoli pour comprendre l'effet extraordinaire que
produisit le geste de la mere, livrant a la vertu meme de la race le
probleme de ce meurtrier cache chez les vengeurs de sa victime. Un
Montaigu sous le toit
|