lles filles, peu farouches, que le plaisir etourdit
et desarme les soirs d'assemblee. Chez nous, elles y vont bon jeu bon
argent et ne cherchent pas a frustrer l'amour de ses consequences;
aussi est-ce ici le pays des nourrices. C'est a ce sujet que le vieux
observait, un jour, si drolement:
--Si le sang vient du lait qu'on tette, il n'y a quasiment point de
petits bourgeois des villes qui ne soient a demi batards, puisqu'ils
l'ont du sein de la mere laitiere.
Or ses batards, a lui, ne l'etaient pas qu'a demi, ils l'etaient des
pieds a la tete et comme ceux du roi de France. Il en alignait trois,
dont une batarde, devant le sourcil un peu fronce du bon Dieu; mais
comme ils etaient dument baptises, face au diable, on ne parlait plus
de leur irregularite d'origine, passee la-haut au compte de profits et
pertes. D'ailleurs, Legoaz les avait tout de suite pris a sa charge. Il
les avait eleves, nourris, vetus, tandis que, de leurs meres naturelles,
deux s'etaient bellement mariees et constituaient famille ailleurs. La
troisieme avait disparu dans quelque simoun du "desert d'hommes".
L'aine, Mathieu, avait trente ans. Il etait le plus solide, le mieux
trempe, laborieux a souhait, un vrai Legoaz, s'il eut eu le droit de
l'etre. Pour la vertu de parcimonie, il en remontrait a son auteur meme.
Un rude paysan celte selon le type immemorial, au front carre.
--Je ne sais pas, disait de lui Yvon, si Mathieu augmentera mon bien,
mais, pour sur, il n'en perdrai pas une motte de terre, voire une paille
d'avoine.
Laurent, beaucoup plus degourdi, fute meme jusqu'il la matoiserie (sa
mere etait Normande), reproduisait, a mesure egale au moins, la qualite
paternelle de volonte, patiente, obstinee, temporisatrice. Il marchait
vers sa vingt-cinquieme annee.
--C'est le petit au nez pointu que j'adopterais, declarait Legoaz, si
je pouvais le faire, equitablement, sans nuire aux autres. Laurent
tiendrait tete, dans un proces, a tous ces messieurs de la justice, et
il le ferait durer d'un regne a l'autre!
Enfin Madeleine, brune pale, sorte de sirene nabote, aux cheveux de
varech, aux yeux vert de mer, aux allures seches et brusques, dure a
tous, meme aux betes, et dont la voix sifflait comme le vent d'est dans
les cordages des barques.
Elle, il avait fallu l'elever par les coups, comme un mauvais gars, et
jamais on ne l'avait vu rire, entendu chanter, surprise a se parer. Elle
n'aimait rien ni personne. Ah! celle-la etait bien p
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