teau d'argent
la carte d'un visiteur: Philibert Torbier.
--Comment! Il ose?... Il en a un culot!... Jamais je n'y suis pour ce
monsieur, vous entendez, jamais.
Mais il etait deja devant elle.
--C'est moi, je t'aime toujours, je suis riche, j'ai ta parole, viens,
ma femme!
Et il tomba a ses pieds, balbutiant, a demi evanoui d'amour, comme
l'exile tombe sur le sol de la patrie rendue. Mais elle s'etait jetee
sur le timbre d'appel.
--Alors, tu fais les poitrinaires, toi? cingla-t-elle.
Et s'adressant a deux laquais survenus:
--F...tez-moi cette crapule dehors.
Ils le ramasserent le lendemain matin sur le paillasson de l'honnete
creature, avec deux trous dans la tete.
IV
LE BATEAU DE FLEURS
C'etait un yacht, un joli yacht appele _le Coromandel_. D'ou lui venait
ce nom hindoustan, je l'ignore. Rien ne ressemblait moins en effet a ces
naives pirogues, les "schelingues", carenes de cuir et d'ecorce cousues
de filasse de cocotier, sur lesquelles on aborde en rade de Madras, a
travers trois barres terribles d'ecume hurlante; car, non seulement _le
Coromandel_ etait une merveille de construction nautique, mais encore
il ne tenait meme pas l'eau en riviere, et il dormait, inutile et
derisoire, dans notre doux port d'Asnieres-sur-Seine.
Or, ledit _Coromandel_ avait bel et bien coute les cent mille francs a
son proprietaire, jeune armateur de fantaisie surpris en pleine boheme
par le gros lot d'un heritage colossal, et decide a se payer en un
seul coup tous les plaisirs dont il avait ete sevre pendant les annees
d'apprentissage. Charpente en bois rares et exotiques, reluisant de
cuivreries miroitantes et amenage pour les longs voyages, il etait
tapisse de delicieuses lices mythologiques, meuble de pieces de haute
ebenisterie d'art et muni d'une artillerie culinaire propre aux plus
rudes combats de gueule. Et le fond de cale s'y lestait d'une provende
de ces bouteilles a tete d'argent, qui sont la gloire de la Champagne.
Pourtant, il demeurait amarre, le joli yacht, au port pacifique
d'Asnieres, sans equipage, sans pilote ni capitaine, et comparable au
petit navire de la chanson, qui n'avait jamais navigue.
Il advint que les sieurs Titubard et Polanson, artistes depourvus de
commandes, et quelquefois meme de pitance, errant sur les bords de la
Seine, remarquerent l'abandon du bateau de plaisance. Informations
prises, ils surent qui en etait le proprietaire. Ils l'avaient connu au
temps de la "melass
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