acherent. Puis Jean s'en fut a son champ et il l'ensemenca de
graines de navets, entierement, et d'un bout a l'autre.
Au mois d'aout, la recolte etait la plus belle. Jamais on n'avait vu,
voire en Bretagne, pareille pelouse de grappes jaunes, hautes, larges,
epanouies comme des fougeres.
--Es-tu content? demanda le diable.
--Oui, je le suis. A present, le partage. Veux-tu le dessus ou le
dessous de la recolte, ce qui est en terre ou en dehors? Choisis.
Et comme le Dechu n'entend goutte aux choses du bon Dieu, il choisit
le dehors, a cause des magnifiques fleurs jaunes. Mais, ainsi que
vous pensez, il ne put rien en faire et, meme en Angleterre, pour les
bestiaux, il ne parvint jamais a en vendre les fanes.
L'annee suivante, deuxieme du pacte, Satanas jura de ne pas s'y laisser
reprendre. Quand le temps du partage fut venu, le voila qui se presente
a Kerlot, le ruse, et, tout de go, sans prendre le temps de lui donner
le bonjour:
--Cette fois, je veux ce qui est en terre.
Or, le Breton avait seme du froment dans le meme champ, et c'etait les
epis de ble, gros comme en Egypte, qui le couvraient d'une chape d'or
merveilleuse. Il en eut plein son moulin. C'est ainsi que le paysan se
servait du demon pour sa fortune.
On m'a affirme qu'en Normandie le Malin est beaucoup moins bete, et
cela tient probablement a ce que les Normands n'ont ni pelerinages ni
pardons, et sont donc moins proteges que les Celtes. Toujours est-il que
Jean Kerlot en faisait voir au "notre" de toutes les couleurs de la
mer, et Dieu sait si elle en change! Le diable de Bretagne s'acharnait
cependant sur le meunier matois, je crois bien que c'etait a cause de
son cidre, du pur jus, a la verite, et il ne lachait point l'espoir
d'avoir son ame.
--Vends-la moi, ami Jean, et fais ton prix?
--Je ne dis pas non, trainait l'autre, en machonnant un brin de romarin;
mais j'ai trois enfants et je ne suis pas encore assez riche pour
mourir. En outre, j'ai promis une belle aube en dentelle au pasteur de
l'eglise, et c'est cher, a Rennes, ces chemises a chanter la messe! Si
encore mon moulin etait moins vieux! Mais il a cent ans a cette heure,
et il ne prend plus le vent. Il est vrai qu'il n'en souffle guere depuis
que les arbres grandissent autour.
--Abats les arbres.
--Des chenes! moi, un Breton? C'est comme si tu me conseillais de
demolir nos calvaires. En vends-tu, du vent, Satanas?
--Je vends de tout, fit le Maudit, deja pris au piege
|