en le reconduisant jusqu'a la grille, elle
avait ajoute:
--Je n'ignore point, monsieur, que desormais je ne vous verrai plus.
Tous vos efforts vont tendre a m'eviter; les hommes sont ainsi. Je vous
demande donc une grace derniere; mais permettez-moi de me l'accorder.
Nous sommes aujourd'hui le premier jour de mai: tous les ans a pareille
date, je vous attendrai sur le seuil de ma maison. De quelque endroit
ou vous soyez, vous viendrez?... Le jour ou vous ne m'y verrez plus,
n'entrez point, je serai morte ou je vous aurai oublie.
Et elle reprit, les yeux pleins de larmes:
--Une visite par an est-ce trop demander?
--Je vous donne ma parole de gentilhomme, fit le chevalier tres emu, que
tous les 1er mai, a onze heures, je sonnerai a la grille du chateau de
Vilanel.
Et apres avoir baise la main de la pauvre enamouree, il s'eloigna,
non sans pester interieurement contre la vocation imperieuse qui le
maintenait celibataire.
Or, cette visite etait precisement la dixieme que le chevalier lui
rendait. Aussi des qu'elle l'apercut, son visage se colora de tous les
tons joyeux de l'aurore. L'ingrat vit a ce signe qu'il etait toujours
aime. Une telle fidelite ne laissa point de l'intimider d'autant plus
que la comtesse, selon les rites de la galanterie, etait demeuree sans
bouger et l'attendait du haut du perron, entouree de ses gens immobiles
et graves comme des herons qui digerent.
--Toujours charmante balbutia-t-il, en l'abordant.
--Et vous toujours exact! fit-elle; merci. Un somptueux dejeuner etait
prepare dans la grande salle. Le chevalier offrit son poing gante a
la comtesse, et tous deux prirent place sur leurs fauteuils a grands
dossiers.
Le soleil eclatait magnifiquement sur un riche surtout d'argent et
rebondissait des ciselures jusqu'aux tapisseries a fond blanc ou des
chasses royales alternaient avec de fraiches bergeries. Douze portraits
d'aieux prolongeaient jusque dans la penombre de la haute cheminee
seigneuriale leur fiere procession d'hommes vaillants ou fameux, a
chacun desquels l'ovale du cadre formait comme une aureole d'or, et,
dans les glaces, se multipliaient a perte de vue. Au travers des grandes
fenetres, on voyait se derouler un parc aux arbres seculaires, aux
gazons semes de corbeilles fleuries, aux allees profondes, et dans la
piece d'eau se refleter, nette et tremblante, la silhouette du vieux
chateau Louis XIII. Le printemps envoyait aux convives ses plus doux
aromes et ses plus
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