peut-etre mieux accueillies et avec plus de confiance si le conteur
avait ete plus sympathique. Malheureusement ce n'etait pas le cas de
Leplaquet, qui, avec sa face plate, son front bas, ses yeux fuyants, son
air sombre, son attitude hesitante, inspirait plutot la defiance que la
sympathie, la repulsion que l'attraction.
D'autre part, le trop d'empressement qu'il mettait a les conter a tout
propos et souvent hors de propos leur nuisait aussi: on s'etonnait que
cet homme qui, ordinairement, disait du mal de tout le monde, cherchat
si obstinement les occasions de dire du bien de la seule madame de
Barizel.
De meme on cherchait aussi pourquoi il deployait tant de zele a racoler
des convives pour les diners de madame de Barizel.
Bien entendu, c'etait dans son monde qu'il les prenait, ces convives,
parmi les artistes, les musiciens, les peintres, les sculpteurs, surtout
parmi les journalistes, ses confreres, francais ou etrangers; il
suffisait, qu'on tint une plume, quelle qu'elle fut, pour etre invite
par lui chez madame de Barizel.
Bien que des invitations de ce genre fussent assez frequentes a Bade, ou
plus d'une femme en vue employait ses amis a l'enrolement d'une petite
cour composee de gens qui avaient un nom, la persistance et l'activite
que Leplaquet apportait a ces enrolements etaient si grandes qu'elles ne
pouvaient pas ne pas provoquer un certain etonnement. C'etait a croire
qu'il guettait ceux qu'il pouvait inviter, car des qu'ils arrivaient et
a leurs premiers pas dans Bade, il sautait sur eux et les enveloppait.
Le lendemain, l'invite de Leplaquet s'asseyait a la droite de la
comtesse de Barizel, qui se montrait une femme superieure dans l'art de
chatouiller la vanite litteraire de son convive, dont la veille elle
ne connaissait meme pas le nom, lui repetant avec une grace pleine de
charme la lecon qu'elle avait apprise de Leplaquet; et le surlendemain,
au sortir du lit, de bonne heure, encore sous l'influence des beaux
yeux de Corysandre, les oreilles encore chaudes des compliments de la
comtesse, il envoyait a son journal une correspondance consacree a la
gloire des Barizel.
III
Une maison hospitaliere: comme l'etait celle de madame de Barizel devait
s'ouvrir facilement pour le prince Savine.
En relations avec Dayelle depuis longtemps, Savine n'eut qu'a attendre
une visite de celui-ci a Bade pour se faire presenter a la comtesse, et
bientot on le vit partout aux cotes de la belle Corysan
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