pour ca. Tu vas partir pour Bade et
m'organiser une surveillance intime, comme tu dis dans tes circulaires,
autour du prince Savine et de madame de Barizel, cette Americaine.
--Moi! ton pere!
--Eh bien?
--C'est a ton pere que tu fais une pareille proposition!
--A qui veux-tu que je la fasse?
Vivement, violemment, M. Houssu se tourna vers elle en jetant son epaule
gauche en avant par le geste qui lui etait familier lorsqu'il voulait
mettre sa decoration sous les yeux d'un client qu'il fallait eblouir.
--Tu ne parlerais pas ainsi, s'ecria-t-il en frappant sa chemise de sa
large main velue, si le signe de l'honneur brillait sur cette poitrine.
--Puisqu'il n'y brille pas, ecoute-moi et ne dis pas de betises. On
raconte que Savine va se marier. S'il est quelqu'un que cela interesse,
c'est moi, n'est-ce pas?
M. Houssu toussa sans repondre.
--Dans ces conditions, continua Raphaelle, il faut que je sache a quoi
m'en tenir, et comme je ne peux pas aller a Bade voir par moi-meme
comment les choses se passent, je te demande de me remplacer.
--Moi, l'auteur de tes jours?
--Encore, s'ecria Raphaelle, impatientee, tu m'agaces a la fin en nous
la faisant a la paternite. En voila-t-il pas, en verite, un fameux pere
qui abandonne sa fille pendant vingt ans, c'est-a-dire quand elle avait
besoin de lui, et qui ne s'occupe d'elle que quand elle commence a
sortir de la misere, c'est-a-dire quand il voit qu'il peut avoir besoin
d'elle et qu'elle est en etat de l'obliger.
M. Houssu s'arreta de manger, et, repoussant son assiette, il se croisa
les bras avec dignite.
--Si c'est pour le jambon de Reims que tu dis ca, s'ecria-t-il, c'est
bas; nous aurions mange notre omelette, ta mere et moi, tranquillement,
amicalement, comme mari et femme; nous n'avions pas besoin de tes
cadeaux, tu peux les remporter. Si je mangeais maintenant une seule
bouchee de ton jambon, elle m'etoufferait.
Du bout de sa fourchette, il piqua les morceaux de jambon; puis, apres
les avoir pousses sur le bord de son assiette, il se mit a manger les
oeufs stoiquement, sous les yeux de sa femme, qui n'osait pas soutenir
sa fille comme elle en avait envie, de peur de facher ce bel homme,
qu'elle s'imaginait avoir reconquis depuis qu'il l'avait epousee.
Pendant quelques minutes le silence ne fut trouble que par le bruit
des couteaux et des fourchettes, car cette altercation qui venait de
s'elever entre le pere et la fille ne les empechait ni l'un
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