nca; a onze heures, Savine avait deux
cent-quarante haricots gagnes contre la banque, c'est-a-dire deux
cent-quarante mille francs.
Le lendemain, la demonstration continua; puis le surlendemain, pendant
dix jours, et au bout de ces dix jours Savine avait gagne dix-neuf cent
cinquante haricots, c'est-a-dire pres de deux millions de francs.
L'experience etait decisive; maintenant c'etaient de vrais billets de
banque que Savine pouvait risquer; mais, chose extraordinaire, au lieu
de gagner il perdit.
Et cela etait d'autant plus exasperant que, ce jour-la, Otchakoff fit
sauter la banque au milieu de l'enthousiasme general.
Le lendemain Savine perdit encore, puis le troisieme jour, puis le
quatrieme.
--Courage, disait le marquis de Mantailles, plus vous perdez, plus vous
avez de chance de gagner; l'equilibre ne peut pas ne pas se retablir.
Cependant il ne se retablit point; au bout de quinze jours, Savine avait
perdu cinq cent mille francs, et ce qui lui etait plus sensible encore
que cette perte d'argent, il les avait perdus sans que cela fit
sensation et tapage.
--Il n'a pas de chance, le prince Savine, disait-on.
--Et pourtant il est prudent.
Prudent et malheureux, c'etait trop; quelle honte!
Cependant il n'abandonna pas la lutte; mais, puisque le jeu ne soulevait
pas le tapage qu'il avait espere, il chercha un autre moyen pour forcer
l'attention publique a se fixer sur lui, et il crut le trouver en
s'attachant tres ostensiblement a une jeune fille, mademoiselle
Corysandre de Barizel, qui, par sa beaute eblouissante, etait la reine
de Bade, comme Otchakoff en etait le roi par son audace au jeu.
II
C'etait aussi l'hiver precedent, presque en meme temps qu'Otchakoff,
que la belle Corysandre, sous la conduite de sa mere, la comtesse de
Barizel, avait fait son apparition a Paris.
Elle venait, disait-on, d'Amerique, de la Louisiane, ou son pere, le
comte de Barizel, qui descendait des premiers colons francais etablis
dans ce pays, avait possede d'immenses proprietes, aux mains de sa
famille depuis pres de deux cents ans; le comte avait ete tue dans la
guerre de Secession, commandant une brigade de l'armee du Sud, et sa
veuve et sa fille avaient quitte l'Amerique pour venir s'etablir en
France, ou elles voulaient vivre desormais.
C'etait dans une des deux grandes fetes que donnait tous les ans le
financier Dayelle qu'elles avaient paru pour la premiere fois.
Bien que Dayelle ne fut qu'un ho
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