Sire, devenez un heros; ce n'est pas difficile; vous
n'avez qu'a suivre votre route; et faites-moi un beau trone, dit
la fille de Henri II.
Un imperceptible sourire effleura la levre fine du Bearnais. Il
baisa la main de Marguerite et sortit le premier, pour explorer le
passage, tout en fredonnant le refrain d'une vieille chanson:
_Cil qui mieux battit la muraille_
_N'entra point dedans le chasteau._
La precaution n'etait pas mauvaise: au moment ou il ouvrait la
porte de sa chambre a coucher, le duc d'Alencon ouvrait celle de
son antichambre; il fit de la main un signe a Marguerite, puis
tout haut:
-- Ah! c'est vous, mon frere, dit-il, soyez le bienvenu. Au signe
de son mari, la reine avait tout compris et s'etait jetee dans un
cabinet de toilette, devant la porte duquel pendait une enorme
tapisserie.
Le duc d'Alencon entra d'un pas craintif en regardant tout autour
de lui.
-- Sommes-nous seuls, mon frere? demanda-t-il a demi-voix.
-- Parfaitement seuls. Qu'y a-t-il donc? vous paraissez tout
bouleverse.
-- Il y a que nous sommes decouverts, Henri.
-- Comment decouverts?
-- Oui, de Mouy a ete arrete.
-- Je le sais.
-- Eh bien! de Mouy a tout dit au roi.
-- Qu'a-t-il dit?
-- Il a dit que je desirais le trone de Navarre, et que je
conspirais pour l'obtenir.
-- Ah! pecaire! dit Henri, de sorte que vous voila compromis, mon
pauvre frere! Comment alors n'etes-vous pas encore arrete?
-- Je n'en sais rien moi-meme; le roi m'a raille en faisant
semblant de m'offrir le trone de Navarre. Il esperait sans doute
me tirer un aveu du coeur; mais je n'ai rien dit.
-- Et vous avez bien fait, ventre-saint-gris, dit le Bearnais;
tenons ferme, notre vie a tous deux en depend.
-- Oui, reprit Francois, le cas est epineux; voici pourquoi je
suis venu demander votre avis, mon frere; que croyez-vous que je
doive faire: fuir ou rester?
-- Vous avez vu le roi, puisque c'est a vous qu'il a parle?
-- Oui, sans doute.
-- Eh bien, vous avez du lire dans sa pensee! Suivez votre
inspiration.
-- J'aimerais mieux rester, repondit Francois.
Si maitre qu'il fut de lui-meme, Henri laissa echapper un
mouvement de joie; si imperceptible que fut ce mouvement, Francois
le surprit au passage.
-- Restez alors, dit Henri.
-- Mais vous?
-- Dame! repondit Henri, si vous restez, je n'ai aucun motif pour
m'en aller, moi. Je ne partais que pour vous suivre, par
devouement, pour ne pas quitter un frere qu
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