rien apprendre.
--Elle n'est pas mauvaise pour cela. Il faut croire que ses parents ne
tenaient pas a ce qu'elle fut instruite; mais, puisque tu me parles
d'elle, crois-tu qu'elle se plaise beaucoup a ne rien faire? Il me
semble qu'elle s'ennuie souvent.
--Je ne sais pas si elle s'ennuie, mais elle baille ou pleure toujours.
Sais-tu qu'elle n'est pas gaie, notre amie? A quoi donc pense-t-elle du
matin au soir? Peut-etre qu'elle ne pense pas.
--Tu te trompes. Comme elle a beaucoup d'esprit, elle pense au contraire
beaucoup, et peut-etre meme qu'elle pense trop.
--Trop penser! Papa me dit toujours: "Pense, pense donc, tete folle!
pense a ce que tu fais!"
--Le pere a raison. Il faut penser toujours a ce qu'on fait et jamais a
ce qu'on ne doit pas faire.
--A quoi donc pense Alida? Voyons, le devines-tu?
--Oui, et je vais te le dire.
Adelaide baissait instinctivement la voix; je collai mon oreille contre
la fente du mur, sans me rappeler le moins du monde que je m'etais
promis de ne jamais espionner.
--Elle pense a toutes choses, disait Adelaide: elle est comme toi et
moi, et peut-etre beaucoup plus intelligente que nous deux; mais elle
pense sans ordre et sans direction. Tu peux comprendre cela, toi qui me
racontes souvent tes songes de la nuit. Eh bien, quand tu reves,
penses-tu?
--Oui, puisque je vois un tas de personnes et de choses, des oiseaux,
des fleurs...
--Mais depend-il de toi de voir ou de ne pas voir ces fantomes-la?
--Non, puisque je dors!
--Tu n'as donc pas de volonte, et, par consequent, pas de raison et pas
de suite d'idees quand tu reves.
Eh bien, il y a des personnes qui revent presque toujours, meme quand
elles sont eveillees.
--C'est donc une maladie?
--Oui, une maladie tres-douloureuse et dont on guerirait par l'etude des
choses vraies, car on ne fait pas toujours, comme toi, de beaux reves.
On en fait de tristes et d'effrayants quand on a le cerveau vide, et on
arrive a croire a ses propres visions. Voila pourquoi tu vois notre amie
pleurer sans cause apparente.
--C'est donc cela! Et, j'y pense, nous ne pleurons jamais, nous autres!
Je ne t'ai jamais vue pleurer, toi, que quand maman etait malade; moi,
je baille bien quelquefois, mais c'est quand la pendule marque dix
heures du soir. Pauvre Alida! je vois que nous sommes plus raisonnables
qu'elle.
--Ne t'imagine pas que nous valions mieux que d'autres. Nous sommes plus
heureuses, parce que nous avons des pare
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