es paroles
aigres, et nous nous quittames en nous adorant plus que jamais, car il
nous fallait l'orage pour milieu, et l'enthousiasme ne se faisait en
nous qu'apres l'excitation de la colere ou de la douleur.
Ce qu'il y avait de remarquable, c'est que nous n'arrivions jamais a
prendre une resolution. Il me semblait pressentir un mystere derriere
les reserves et les hesitations d'Alida. Elle pretendait qu'il y en
avait un aussi en moi, que je conservais une arriere-pensee de mariage
avec Adelaide, ou que j'aimais trop ma liberte d'artiste pour me donner
tout entier a notre amour. Et, quand je lui offrais ma vie, mon nom, ma
religion, mon honneur, elle refusait tout, invoquant sa propre
conscience et sa propre dignite. Quel labyrinthe inextricable, quel
chaos effrayant nous environnait!
Quand elle fut partie, disant, comme de coutume, qu'elle reflechirait et
que je devais attendre une solution, je marchai avec agitation sous la
treille et me retrouvai machinalement a l'angle de la muraille, derriere
la tonnelle des Obernay. Adelaide et Rosa etaient la; elles causaient.
--Je vois qu'il faut travailler pour faire plaisir a nos parents, a mon
frere et a toi, disait la petite, et aussi a mon bon ami Valvedre, a
Paule, a tout le monde enfin! Cependant, comme je me sens bien d'etre un
peu paresseuse par nature, je voudrais que tu me disses encore d'autres
raisons pour me forcer a me vaincre.
--Je t'ai deja dit, repondit la voix suave de l'ainee, que le travail
plaisait a Dieu.
--Oui, oui, parce que mon courage lui marquera l'amour que j'ai pour mes
parents et mes amis; mais pourquoi n'y a-t-il dans tout cela que moi a
qui la peine d'apprendre ne fasse pas grand plaisir?
--Parce que tu ne reflechis pas. Tu t'imagines que la paresse te
rejouirait? Tu te trompes bien! Aussitot que ce qui nous contente
afflige ceux qui nous aiment, nous sommes dans le faux et dans le mal,
dans le repentir et le chagrin par consequent. Comprends-tu cela?
Voyons!
--Oui, je comprends. Alors je serai donc mauvaise, si je suis
paresseuse?
--Oh! cela, je t'en reponds! dit Adelaide avec un accent qui paraissait
gros d'allusions interieures.
Il sembla que l'enfant eut devine l'objet de ces allusions, car elle
reprit apres un instant de silence:
--Dis donc, soeur, est-ce que notre amie Alida est mauvaise?
--Pourquoi le serait-elle?
--Dame! elle ne fait rien de la journee, et elle ne se cache pas pour
dire qu'elle n'a jamais voulu
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