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toucher le bras. Ce bras roidi et glace ne sentit rien. Je me precipitai
sur elle, je la soulevai, je l'entrainai. Elle se ranima faiblement et
fit un effort pour me repousser.
--Ou me conduisez-vous? dit-elle avec egarement.
--Je n'en sais rien! a l'air, au soleil! vous etes mourante.
--Ah! il fallait donc me laisser mourir!... j'etais si bien!
Je poussai au hasard une porte laterale qui se presenta devant moi, et
je me trouvai dans une ruelle etroite et peu frequentee. Je vis un
jardin ouvert. Alida, sans savoir ou elle etait, put marcher jusque-la.
Je la fis entrer dans ce jardin et s'asseoir sur un banc au soleil. Nous
etions chez des inconnus, des maraichers; les patrons etaient absents.
Un journalier qui travaillait dans un carre de legumes nous regarda
entrer, et, supposant que nous etions de la maison, il se remit a
l'ouvrage sans plus s'occuper de nous.
Le hasard amenait donc ce tete-a-tete impossible! Quand Alida se sentit
ranimee par la chaleur, je la conduisis au bout de ce jardin assez
profond, qui remontait la colline de la vieille ville, et je m'assis
aupres d'elle sous un berceau de houblon.
Elle m'ecouta longtemps sans rien dire; puis, me laissant prendre ses
mains tiedes et tremblantes, elle s'avoua desarmee.
--Je suis brisee, me dit-elle, et je vous ecoute comme dans un reve.
J'ai prie et pleure toute la journee, et je ne voulais reparaitre devant
mes enfants que quand Dieu m'aurait rendu la force de vivre; mais Dieu
m'abandonne, il m'a ecrasee de honte et de remords sans m'envoyer le
vrai repentir qui inspire les bonnes resolutions. J'ai invoque l'ame de
ma mere, elle m'a repondu: "Le repos n'est que dans la mort!" J'ai senti
le froid de la derniere heure, et, loin de m'en defendre, je m'y suis
abandonnee avec une volupte amere. Il me semblait qu'en mourant la, aux
pieds du Christ, non pas assez rachetee par ma foi, mais purifiee par ma
douleur, j'aurais au moins le repos eternel, le neant pour refuge. Dieu
n'a pas plus voulu de ma destruction que de mes pleurs. Il vous a amene
la pour me forcer a aimer, a bruler, a souffrir encore. Eh bien, que sa
volonte soit faite! Je suis moins effrayee de l'avenir depuis que je
sais que je peux mourir de fatigue et de chagrin quand le fardeau sera
trop lourd.
Alida etait si saisissante et si belle dans son voluptueux accablement,
que je trouvai l'eloquence d'un coeur profondement emu pour la
convaincre et la rappeler a la vie, a l'amour et a l
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