'esperance. Elle me
vit si navre de sa peine, qu'a son tour elle eut pitie de moi et se
reprocha mes pleurs. Nous echangeames les serments les plus
enthousiastes d'etre a jamais l'un a l'autre, quoi qu'il put arriver de
nous; mais, en nous separant, qu'allions-nous faire? J'etais parti pour
toutes les personnes que nous connaissions a Geneve. L'heure avancait,
on pouvait s'inquieter de l'absence de madame de Valvedre et la
chercher.
--Rentrez, lui dis-je; je dois quitter cette ville, ou nous sommes
entoures de dangers et d'amertumes. Je me tiendrai dans les environs, je
m'y cacherai et je vous ecrirai. Il faut absolument que nous trouvions
le moyen de nous voir avec securite et d'arranger notre avenir d'une
maniere decisive.
--Ecrivez a la Bianca, me dit-elle; j'aurai vos lettres plus vite que
par la _poste restante_. Je resterai a Geneve pour les recevoir, et, de
mon cote, je reflechirai a la possibilite de nous revoir bientot.
Elle redescendit le jardin, et j'y restai apres elle pour qu'on ne nous
vit pas sortir ensemble. Au bout de dix minutes, j'allais me retirer,
lorsque je m'entendis appeler a voix basse. Je tournai la tete; une
petite porte venait de s'ouvrir derriere moi dans le mur. Personne ne
paraissait, je n'avais pas reconnu la voix; on m'avait appele par mon
prenom. Etait-ce Obernay? Je m'avancai et vis Moserwald, qui m'attirait
vers lui par signes, d'un air de mystere.
Des que je fus entre, il referma la porte derriere nous, et je me
trouvai dans un autre enclos, desert, cultive en prairie, ou plutot
abandonne a la vegetation naturelle, ou paissaient deux chevres et une
vache. Autour de cet enclos si neglige regnait une vigne en berceau
soutenue par un treillage tout neuf a losanges serrees. C'est sous cet
abri que Moserwald m'invitait a le suivre. Il mit le doigt sur ses
levres et me conduisit sous l'auvent d'une sorte de masure situee a l'un
des bouts de l'enclos. La, il me parla ainsi:
--D'abord faites attention, mon cher! Tout ce qui se dit sous la treille
peut etre entendu a droite et a gauche a travers les murs, qui ne sont
ni epais ni hauts. A gauche, vous avez le jardin de Manasse, un de mes
pauvres coreligionnaires qui m'est tout devoue; c'est la que vous etiez
tout a l'heure avec _elle_, j'ai tout entendu! A droite, le mur est
encore plus perfide, je l'ai fait amincir et percer d'ouvertures
imperceptibles qui permettent de voir et d'entendre ce qui se passe dans
le jardin des Obernay.
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