paroles, ou le grossier et
le ridicule des details etaient emportes par un souffle de passion
exaltee et sincere. Il se deroba a mes refus, a mes remerciements, a mes
denegations, dont, au reste, je sentais bien l'inutilite. Il tenait mon
secret, et il fallait lui laisser exercer son devouement ou craindre son
depit. Il me repoussa dans le casino, il m'enferma dans le jardin, et je
me soumis, et je l'aimai en depit de tout; car il pleurait a chaudes
larmes, et je pleurais aussi comme un enfant brise par des emotions
au-dessus de ses forces.
Quand j'eus repris un peu mes sens et resume ma situation, j'eus horreur
de ma faiblesse.
--Non certes, m'ecriai-je interieurement, je n'attirerai pas Alida dans
ce lieu, ou son image a ete profanee par des esperances outrageantes.
Elle ne verrait qu'avec degout ce luxe et ces presents que lui destinait
un amour indigne d'elle. Et, moi-meme, je souffre ici comme dans un air
malsain charge d'idees revoltantes. Je n'ecrirai pas d'ici a Alida; je
sortirai ce soir de ce refuge impur pour n'y jamais rentrer!
La nuit approchait. Des qu'elle fut sombre, je priai Manasse, qui etait
venu prendre mes ordres, de me conduire chez Moserwald; mais Moserwald
arrivait au meme instant pour s'informer de moi, et nous rentrames
ensemble dans le casino, ou, sur l'ordre de son maitre, Manasse nous
servit un repas tres-recherche.
--Mangeons d'abord, disait Moserwald. Je ne serais pas rentre ici au
risque d'y rencontrer une personne qui ne doit pas m'y voir; mais
puisque vous me dites qu'elle n'y viendra pas, et puisque vous vouliez
venir me parler, nous serons plus tranquilles ici que chez moi. Vous
n'aviez pas pense a diner, je m'en doutais. Moi, je n'y songeais que
pour vous, mais voila que je me sens tout a coup grand'faim. J'ai tant
pleure! Je vois qu'on a raison de le dire: les larmes creusent
l'estomac.
Il mangea comme quatre; apres quoi, les vins d'Espagne aidant a la
digestion de ses pensees, il me dit naivement:
--Mon cher, vous me croirez si vous voulez, mais, depuis six mois, voici
le premier repas que je fais. Vous avez bien vu qu'a Saint-Pierre je
n'avais pas d'appetit. Outre ma melancolie habituelle, j'avais l'amour
en tete. Eh bien, la secousse d'aujourd'hui m'a gueri le corps en
m'apaisant l'imagination. Vrai, je me sens tout autre, et l'idee que je
fais enfin quelque chose de bon et de grand me releve au-dessus de ma
vie ordinaire. N'en riez pas! En feriez-vous autant a ma pl
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