perience, vous connaissez mieux que moi la vie pratique. Je vous
consulterai, et, si vous me conseillez bien, ma reconnaissance sera
eternelle. Toutes mes repulsions pour certains cotes de votre nature
seront vivement combattues et peut-etre effacees en moi par l'amitie. Il
en est deja ainsi; oui, j'ai pour vous une reelle affection, j'estime en
vous des qualites d'autant plus precieuses qu'elles sont natives et
spontanees. Ne me demandez pas autre chose, ne cherchez jamais a me
faire accepter des services d'une valeur venale. Vous n'etes que riche,
dites-vous, et chacun offre ce qu'il peut! Vous vous calomniez: vous
voyez bien que vous avez une valeur morale, et que c'est par la que vous
avez conquis ma gratitude et mon affection.
Le pauvre Moserwald me serra dans ses bras en recommencant a pleurer.
--J'ai donc enfin un ami! s'ecria-t-il, un veritable ami, qui ne me
coute pas d'argent! Ma foi, c'est le premier, et ce sera le seul. Je
connais assez l'humanite pour avoir cela. Eh bien, je le garderai comme
la prunelle de mes yeux, et vous, comme mon ami, prenez mon coeur, mon
sang et mes entrailles. Nephtali Moserwald est a vous a la vie et a la
mort.
Apres ces effusions, ou il trouva le moyen d'etre comique et pathetique
en meme temps, il me declara qu'il fallait parler raison sur le point
capital, l'avenir de madame de Valvedre. Je lui racontai comment je
m'etais lie a mon insu avec le mari, et, sans lui rien confier des
orages de mon amour, je lui fis comprendre que des relations ordinaires
protegees par l'hypocrisie des convenances etaient impossibles entre
deux caracteres entiers et passionnes. Il me fallait posseder l'ame
d'Alida dans la solitude, j'etais incapable de ruser avec son mari et
son entourage.
--Vous avez grand tort d'etre ainsi, repondit Moserwald. C'est un
puritanisme qui rendra toutes choses bien difficiles; mais, si vous etes
cassant et maladroit, ce qu'il y a encore de plus habile, c'est de
disparaitre. Eh bien, cherchons les moyens. M. de Valvedre est riche et
sa femme n'a rien. Je me suis informe a de bonnes sources, et je sais
des choses que vous ignorez probablement; car vous avez traite
d'injurieux mon amour pour elle, et pourtant, par le fait, le votre lui
sera plus nuisible. Savez-vous qu'on peut l'epouser, cette femme
charmante, et que ma fortune me permettait d'y pretendre?
--L'epouser! Que dites-vous? Elle n'est donc pas mariee?...
--Elle est catholique, Valvedre est protestan
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