lettre
de ma mere a madame Obernay, ou ce desir etait delicatement exprime.
"Je ne savais rien de tout cela, disait Alida, vous me l'aviez laisse
ignorer. En apprenant que votre voyage en Suisse n'avait pas eu d'autre
but que la poursuite de ce mariage, et en voyant de mes propres yeux,
cette nuit, combien vous etiez ravi de la beaute de votre future, je me
suis explique votre conduite depuis trois jours. Des que vous etes entre
dans cette maison, des que vous avez vu celle qu'on vous destinait,
votre maniere d'etre avec moi a entierement change. Vous n'avez pas su
trouver un instant pour me parler en secret, vous n'avez pas pu inventer
le plus petit expedient, vous qui savez si bien penetrer dans les
forteresses par-dessus les murs, quand le desir vient en aide a votre
genie. Vous avez ete vaincu par l'eclat de la jeunesse, et, moi, j'ai
pali, j'ai disparu comme une etoile de la nuit devant le soleil levant.
C'est tout simple. Enfant, je ne vous en veux pas; mais pourquoi manquer
de franchise? pourquoi m'avoir fait souffrir mille tortures? pourquoi,
sachant que je haissais a bon droit certaine vieille fille, l'avoir
traitee avec une veneration ridicule? N'avez-vous pas senti deja des
mouvements de malveillance, presque d'aversion, contre la malheureuse
Alida? Il me semble que, dans un moment, l'unique moment ou vos regards,
sinon vos paroles, pouvaient me rassurer, vous m'avez fait entendre que
j'etais, selon vous, une mauvaise mere. Oui, oui, on vous avait deja dit
cela, que je preferais mon bel Edmond a mon pauvre Paul, que celui-ci
etait une victime de ma partialite, de mon injustice: c'est le theme
favori de mademoiselle Juste, et elle avait bien reussi a le persuader a
mon mari, qui m'estime; elle a du reussir plus vite a le prouver a mon
amant, qui ne m'estime pas!
"Allons! il faut se placer au-dessus de ces miseres! Il faut que je
dedaigne tout cela, et que je vous apprenne que, si je suis une personne
odieuse, au moins j'ai la fierte qui convient a ma situation.
Epargnez-vous de vains mensonges; vous aimez Adelaide et vous serez son
mari, je vais vous y aider de tout mon pouvoir. Renvoyez-moi mes lettres
et reprenez les votres. Je vous pardonne de tout mon coeur comme on doit
pardonner aux enfants. J'aurai plus de peine a m'absoudre moi-meme de ma
folie et de ma credulite."
Ainsi ce n'etait pas assez de la situation terrible ou nous nous
trouvions vis-a-vis de la famille et de la societe: il fallait que le
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