es couronnes, des chapeaux, des bonnets et des turbans merveilleux. Je
n'oublierai de ma vie la coiffure que Joseph portait en Egypte. C'etait
bien un turban, si vous voulez, et meme un large turban, mais il etait
surmonte d'un bonnet pointu, et il s'en echappait une aigrette avec deux
plumes d'autruche, et c'etait une coiffure considerable.
Le Nouveau-Testament avait, dans ma vieille Bible, un charme plus
intime, et je garde un souvenir delicieux du potager dans lequel Jesus
apparaissait a Madeleine. "Et elle pensoit, dit le texte, que ce fust le
maistre du jardin." Enfin, dans les sept oeuvres de la misericorde,
Jesus-Christ, qui etait le pauvre, le prisonnier et le pelerin, voyait
venir a lui une dame paree comme Anne d'Autriche, d'une grande
collerette de point de Venise. Un cavalier, coiffe d'un feutre a plumes,
le poing sur la hanche, cape au dos, chausse galamment de bottes en
entonnoir, du perron d'un chateau aux murs de brique, faisait signe a un
petit page, portant une buire et un gobelet d'argent, de verser du vin
au pauvre, ceint de l'aureole. Que cela etait aimable, mysterieux et
familier! Et comme Jesus-Christ, dans un cabinet de verdure, au pied
d'un pavillon bati du temps du roi Henri, sous notre ciel humide et fin,
semblait plus pres des hommes, et plus mele aux choses de ce monde!
Chaque soir, sous la lampe, je feuilletais ma vieille Bible, et le
sommeil, ce sommeil delicieux de l'enfance, invincible comme le desir,
m'emportait dans ses ombres tiedes, l'ame toute pleine encore d'images
sacrees. Et les patriarches, les apotres, les dames en collerette de
guipure, prolongeaient dans mes reves leur vie surnaturelle. Ma Bible
etait devenue pour moi la realite la plus sensible, et je m'efforcais
d'y conformer l'univers.
L'univers ne s'etendait pas, pour moi, beaucoup au dela du qui
Malaquais, ou j'avais commence de respirer le jour, comme dit cette
tendre vierge d'Alpe. Et je respirais avec delices le jour qui baigne
cette region d'elegance et de gloire, les Tuileries, le Louvre, le
Palais Mazarin. Parvenu a l'age de cinq ans, je n'avais pas encore
beaucoup explore les parties de l'univers situees par-dela le Louvre,
sur la rive droite de la Seine. La rive opposee m'etait mieux connue
puisque je l'habitais. J'avais suivi la rue des Petits-Augustins
jusqu'au bout, et je pensais bien que c'etait le bout du monde.
La rue des Petits-Augustins s'appelle aujourd'hui rue Bonaparte. Au
temps qu'elle etait au
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