, par ses larmes, de la fidelite de ses tendresses et de ses
douleurs? Pauvre roi! il n'y avait plus que la lune alors qui sut ses
jeunes amours!
"J'ai l'idee, Leclerc, que cette nuit-la Charles X songeait a Mme de
Polastron, qui l'avait aime lorsqu'il etait le brillant comte d'Artois,
qui l'alla rejoindre a l'armee de Conde ou il trainait les miseres de
l'exil, et qui, lui apportant sous la tente, au milieu des soldats, ses
diamants, ses bijoux, son or ramasse a la hate, lui sacrifia sa fortune
et son honneur. Qu'en pensez-vous, Leclerc?"
L'armurier hocha la tete; il etait visible qu'il n'en pensait rien.
M. de Gerboise reprit vivement:
"Oui, j'aime a penser, Leclerc, que cette nuit-la, a Saint-Cloud,
trente-cinq ans apres la mort de Mme de Polastron, Charles X pleurait sa
meilleure amie. Et il avait bigrement raison.
"Leclerc, nous avons tort, tous les deux, de nous obstiner a vivre.
--Pourquoi donc, monsieur le marquis? demanda l'armurier.
--Parce que, mon ami, ce n'est pas la peine de rester en ce monde quand
on n'y fait plus l'amour. Et puis nous ne reverrons plus nos rois."
J'avais des lors quelques raisons de croire que Charles X fut l'esprit
le plus leger et la tete la plus faible du monde. J'ai, depuis ce temps,
beaucoup lu son histoire sans y rien decouvrir a son honneur. Je
recueille cette anecdote du vieux roi en bonnet de nuit entretenant la
lune, comme l'endroit le plus sympathique de sa vie.
IX
MADAME PLANCHONNET
J'avais cela d'heureux, qu'au printemps j'entrais dans ma dix-septieme
annee. Mon pere m'avait envoye passer les vacances de Paques a Corbeil,
chez ma tante Felicie, qui habitait une maisonnette au bord de la Seine
et y vivait dans la devotion et les medicaments. Elle m'embrassa avec un
juste sentiment de ce qu'on doit a sa famille, me felicita d'avoir passe
mon baccalaureat, me dit que je ressemblais a mon pere, me recommanda de
ne pas fumer la cigarette dans mon lit, et me donna ma liberte jusqu'au
diner.
J'entrai dans la chambre que la vieille servante Euphemie m'avait
preparee, et je defis ma malle qui contenait, precieusement serre entre
mes chemises, le manuscrit de mon premier ouvrage. C'etait une nouvelle
historique, Clemence Isaure, ou j'avais mis tout ce que je concevais de
l'amour et de l'art. J'en etais assez content. Apres avoir fait un brin
de toilette, j'allai me promener au hasard dans la ville. En suivant les
boulevards plantes d'ormeaux, dont la
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