les rejetons d'un saule etete.
Il parlait peu, sachant peu de mots. Mais il peignait beaucoup. Matinal,
egaye d'un verre de vin blanc, il s'en allait par la banlieue faire des
etudes d'apres lesquelles il executait ensuite, dans l'atelier, des
tableaux d'un sentiment brutal et d'un faire obstine.
Paysan de race, prudent, defiant, ruse, le visage aussi muet que la
langue, se souciant peu de son copain, il n'y avait pour lui au monde
qu'Euphemie, la cremiere du boulevard Montparnasse, une grosse femme
tendre de cinquante ans, chez laquelle il prenait ses repas, et qu'il
aimait d'un amour satisfait et narquois.
Jacques Dubroquet, peintre d'histoire, plus age que lui de quelques
annees, etait d'un tout autre caractere.
C'etait un homme de pensee. Il voulait ressembler a Rubens et, pour y
parvenir, il portait de longs cheveux, la barbe en pointe, un feutre a
larges bords, un pourpoint de velours et un grand manteau. La poussiere
inevitable des tombes attristait cette magnificence. Jean Meusnier aussi
en etait couvert; mais il en paraissait adouci et comme embelli. Elle
deshonorait au contraire la beaute du peintre d'histoire, qui brossait
sans cesse et vainement son velours, et souffrait.
D'un naturel aimable, riant et somptueux, il avait l'ame grande et,
craignant que le nom de Jacques Dubroquet n'en donnat pas une suffisante
idee, il changea ce nom en celui de Jacobus Durbroquens, qui etait bien
mieux dans son genie.
Dubroquens touchait, par son age, aux derniers romantiques et aux
republicains de sentiment. Il avait fait ses etudes de peinture dans
l'atelier de Riesener, a la fin du regne de Louis-Philippe.
Grand liseur, il frequentait assidument ce cabinet de lecture de la
bonne Mme Cardinal, ou les etudiants en medecine repassaient leur
anatomie en dejeunant d'un petit pain, une main ou une jambe humaine
posee sur la table a cote d'eux. Il devorait tous les livres, et puis il
allait en disputer avec des camarades, dans la pepiniere du Luxembourg,
devant la statue de Velleda.
Et il etait eloquent de peinture. La Revolution de 1848 interrompit ses
etudes de peinture. Il sentit son enthousiasme humanitaire grandir dans
les clubs, il prit conscience de sa mission et concut l'art nouveau.
Depuis lors, Jacobus Dubroquens eut beaucoup d'idees; mais il lui
fallait generalement, pour les exprimer, une toile de soixante pieds
carres. Soixante pieds carres de peinture ou rien, voila l'alternative
dans laquelle i
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