etre se chauffait
en compagnie d'un juge. La vie n'y est aisee pour personne. La pauvre
famille dont je parle y souffrit cruellement. Plusieurs enfants
moururent. Un d'eux, par un hasard inconcevable, se noya dans un baquet.
Quand le pere et la mere vinrent s'etablir a Saint-Valery, de neuf
enfants qu'ils avaient eus, il ne leur restait que le fils qui est mort
hier et un aine appele sous les drapeaux. La mere, entetee dans le
malheur et donnant a l'avenir la figure sombre du passe, repetait tous
les jours avec epouvante:
"Je sais que celui-ci se noiera comme les autres."
De tels accidents sont rares a Saint-Valery. La baie et les bancs de
sable prennent par an a peine une ou deux victimes. Pourtant la pauvre
mere pleurait tous les jours son fils par avance.
Vendredi, a quatre heures, il partit seul en barque, bien que ses
parents le lui eussent defendu. Il se noya par un clair soleil, dans une
mer calme, en vue de la maison ou il avait ete nourri et ou l'attendait
sa mere. La maree ramena a la cote sa barque et ses vetements. Pendant
huit heures, ses parents resterent les yeux fixes sur cette eau
tranquille qui recouvrait le cadavre de leur fils. Enfin, au milieu de
la nuit, la mer s'etant retiree, quinze ou vingt pecheurs s'en allerent
avec des lanternes, par les sables, chercher le corps. Ils le trouverent
dans un trou. Les crabes avaient deja devore une oreille et attaque la
joue.
On a porte aujourd'hui le petit cercueil sous un drap blanc, dans la
vieille eglise qui domine la mer. Les femmes de Cayeux, avec les parents
de l'enfant defunt, tenaient la tete du cortege; elles portaient la
pelisse noire, commune autrefois a toutes les femmes de la Picardie et
des Flandres. Elles ressemblaient ainsi, sur le chemin montueux de
l'eglise, aux saintes femmes que peignaient les maitres flamands, au
pied du Calvaire, en prenant leurs modeles sous leurs yeux. Les grandes
pelisses ont passe par heritage des meres aux filles, et quelques-unes
ont vu peut-etre d'un siecle d'humbles douleurs. Les jeunes Valericaines
dedaignent aujourd'hui ce vetement traditionnel. Elles portent, aux
grands jours de la vie, des chapeaux a la mode de Paris et se croient
"braves" avec des mantelets garnis de jais, sur lesquels elles croisent
leurs mains rouges.
Le cortege entra sous le vieux porche et l'office des morts commenca.
Derriere le cercueil, au poele blanc dont les cordons etaient tenus par
quatre petits garcons, raidement habill
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