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d'abord une grande difficulte. Si l'on s'efforce de definir les diverses
sensations qui affectent douloureusement l'organisme humain on peut
esperer d'y reussir. Quand nous disons par exemple qu'une douleur est
aigue ou qu'elle est sourde, qu'elle est lancinante ou fulgurante, nous
nous faisons entendre assez bien. On eprouve au contraire un
insurmontable embarras a representer par des mots les sensations
agreables; celles memes qui, resultant du jeu regulier des organes, sont
usuelles et frequentes, echappent aux approximations du langage
articule. Dire que ces sensations sont vives ou qu'elles sont douces,
c'est ne rien dire; les termes, fort usites, de delices et de
transports, sont vagues. Il parait donc qu'au physique le plaisir est
plus indistinct que la douleur. Pour cette raison sans doute, je
desespere de rendre tres sensible, par le seul moyen du discours, le
plaisir que procurent les chevaux de bois. Il est certain, toutefois,
que ce plaisir est grand. De leur cercle mouvant jaillissent des cris de
volupte qui percent le bruit de l'orgue et des trombones. Et apres
quelques tours de la machine ce ne sont que regards noyes, levres
humides, tetes pamees. Les jeunes femmes y prennent l'expression que la
statuaire antique donne aux Bacchantes. Et moins habiles a la volupte,
les petits enfants, roides et la joue empourpree, restent graves, en
proie a un dieu inconnu. Je ne parle point de ceux qui ont mal au coeur.
Il s'en trouve. Mais c'est un cas particulier. Je m'en tiens au general.
Grands et petits, ce qu'ils eprouvent est vaguement delicieux.
Sur le cheval de bois, sur la montagne russe, sur l'escarpolette, ils
sont remues, secoues, agites, tout leur etre resonne, la circulation est
activee; ils se sentent mieux vivre. Ils jouissent du jeu facile de
leurs organes, ils soupirent, ils expirent; des caresses invisibles, des
caresses interieures, les font tressaillir: ils sont heureux.
Le cheval de bois durera autant que l'humanite, parce qu'il repond a un
instinct profond de l'enfance et de la jeunesse, ce desir de mouvement,
ce besoin de vertige, cette secrete envie d'etre emporte, berce, ravi,
qu'on eprouve aux heures enfantines, aux heures virginales. Plus tard,
nous redoutons ces machines a mouvement; nous craignons que le moindre
choc ne ranime en nous des souffrances engourdies. Mais dans l'age divin
des chevaux de bois, toute secousse eveille une volupte.
Saint-Valery, 22 aout.
Aujourd'hui, j'a
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