enfants qui connaissent les ruses des poissons et ne connaissent point
celles des hommes. En les voyant, on est pris de sympathie et d'amitie
pour eux. La vie les use comme le temps use les pierres, sans toucher au
coeur. La vieillesse meme ne les rend point avares. Ils s'aident les uns
les autres. Ce sont les seuls pauvres qui ne s'evitent point entre eux.
Justement je vois passer sous ma fenetre un ancien du pays. Il ressemble
au pere Corot. Il est propre; il porte un petit anneau d'or a l'oreille.
Le sel de la mer a tanne sa peau; le poids du chalut a courbe son
echine.
A sa vue, je ne puis me defendre d'un souvenir. Je me repete a moi-meme
l'epitaphe qu'une poetesse grecque fit, au temps des Muses, pour un
pauvre pecheur de Lesbos. Elle est composee de peu de mots. Le style
austere et pur des vers en atteste l'antique origine. Je traduis
litteralement ce distique funeraire:
"Ici est la tombe du pecheur Pelagon. On y a grave une nasse et un
filet, monuments d'une dure vie."
Ainsi parle dans sa pitie sereine cette Muse grecque, qui ne pleure pas,
parce que les larmes souilleraient sa beaute. Le vieux Pelagon jetait
ses filets au pied des blancs promontoires. Il avait vu, dans ses rudes
travaux, le vieillard des mers, le terrible Protee s'elever comme un
nuage du sein des vagues. Il avait peut-etre entendu les sirenes chanter
dans la mer bleue. La Manche n'a point de sirenes sur ses sables
dangereux. Le blanc Protee n'erre point au pied des falaises a pic. Mais
le vieux loup de mer, qui passe en ce moment sur le quai, a vu les ames
des naufrages voler comme des mouettes a la pointe des lames; il a vu
sur la terre des feux celestes, et peut-etre que Notre-Dame-de-Bon-Secours
s'est montree a lui dans la brume de l'Ocean. Helas! a travers combien de
fatigues le ciel lui a souri! Aujourd'hui, comme au temps de Sapho, la
barque et le chalut sont les monuments d'une dure vie.
Hier, un enfant de onze ans s'est noye dans la baie. Il etait originaire
de Cayeux. Cayeux est un port de peche a trois lieues de Saint-Valery.
Ce port est sans abri contre les vents de l'ouest et du nord-ouest, qui
amenaient autrefois dans les rues tant de sable qu'on y enfoncait
jusqu'aux genoux. Aujourd'hui les galets que la mer a amonceles forment
une digue naturelle et protegent les maisons, ainsi qu'une partie des
champs. C'est la que le bon saint Valery faillit mourir de fatigue et de
froid quand il frappa a la porte de la maison ou un pr
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