entraient dans un autre. Les
genies, les nymphes et les fees se cachent quelquefois, mais ils ne
meurent jamais. Ils defient le goupillon des saints."
Je lis dans un gros livre que, apres la mort de saint Valery, les
habitants de la baie de la Somme retomberent dans l'idolatrie. Ils
avaient revu les dames mysterieuses des sources, et ils etaient revenus
a leurs premieres amours. Tant qu'il y aura des bois, des pres, des
montagnes, des lacs et des rivieres, tant que les blanches vapeurs du
matin s'eleveront au-dessus des ruisseaux, il y aura des nymphes, des
dryades; il y aura des fees. Elles sont la beaute du monde: c'est
pourquoi elles ne periront jamais.
Voyez, la nuit tombe sur les toits. Un charme paisible, triste et
delicieux, enveloppe les choses et les ames. Des formes pales flottent
dans la clarte de la lune. Ce sont les nymphes qui viennent danser en
choeur et chanter des chansons d'amour autour de la tombe du bon saint
Valery.
Saint-Valery-sur-Somme, 14 aout.
Nous sommes ici dans un pays rude. La mer y est jaunatre; c'est a peine
si parfois elle bleuit au loin, vers le large. La cote, toute boisee,
est d'un vert sombre. Le ciel est gris et pluvieux. L'eau n'a pas de
sourires et le vent n'a pas de caresses. Cette baie ou le vent du nord
entre avec les goelettes norvegiennes chargees de planches et de fers
bruts, Saint-Valery, ne plait point aux etrangers. Et c'est aussi pour
cela qu'on l'aime. On y a la mer et les marins; on y voit tout le
mouvement d'un petit port de commerce et d'une baie poissonneuse. On y
vit au milieu des pecheurs. Ce sont de brave gens, des coeurs simples.
Ils habitent le quartier de Cour gain. C'est le bien nomme, disent les
gens du pays, car ceux qui y vivent gagnent peu. Le Courgain s'etend
derriere la rue de la Ferte, sur une rampe assez rude. Des maisonnettes,
qui auraient l'air de joujoux si elles etaient plus fraiches, se
pressent les unes contre les autres, sans doute pour n'etre point
emportees par le vent. La, on voit a toutes les portes de jolies tetes
barbouillees d'enfants, et ca et la, au soleil, un vieillard qui
raccommode un chalut, ou une femme qui coud a la fenetre derriere un pot
de geranium. Cette population, me dit-on, souffre beaucoup en ce moment.
Elle est ruinee par les pecheries etrangeres, qui jettent en abondance
le poisson sur nos marches. Ces simples n'ont pas, pour le combat de la
vie, d'autres armes que leur barque et leur filet. Ce sont de grands
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