il resolut de vivre dans la solitude, loin des
mechants.
"J'irai, dit-il, ou Dieu voudra me conduire."
Au bout de quelques jours, il se trouva sur les rives du fleuve de Somme
et il en suivit les bords jusqu'au rivage de la mer. La, il s'arreta,
epuise de fatigue, au bord d'une fontaine, et il secoua la poussiere de
ses chaussures. C'est sur cette poussiere que s'eleva depuis la ville de
Saint-Valery.
Une epaisse foret descendait alors jusque sur les greves de la mer. Les
lievres l'habitaient. Elle recouvrait des marais peuples de vanneaux, de
becasses, de canards et de sarcelles. Les mouettes deposaient leurs
oeufs sur la roche nue des falaises. Le cri aigu du heron et la plainte
du courlis s'elevaient des greves pales ou le cygne, l'oie sauvage et le
grebe, chasses par les glaces, venaient passer l'hiver dans les sables
marins. Des hommes en petit nombre habitaient ces contrees sauvages.
C'etaient de pauvres bateliers qui pechaient dans l'embouchure
poissonneuse de la Somme. Ils etaient paiens. Ils adoraient des arbres
et des fontaines. En vain les saints Quentin, Mellon, Firmin, Loup, Leu,
et plus recemment, saint Berchund, eveque d'Amiens, etaient venus les
evangeliser. Ils croyaient aux genies de la terre et aux ames des
choses.
Ces simples pecheurs etaient saisis d'une horreur sacree quand ils
penetraient dans les forets profondes qui couvraient alors tout le
rivage. Ils voyaient partout des dieux agrestes. Au bord des sources, ou
tremblaient les rayons de la lune, ils apercevaient des nymphes, des
fees, des dames merveilleuses; ils les adoraient et leur apportaient en
tremblant des guirlandes de fleurs. Ils croyaient bien faire en les
aimant, puisqu'elles etaient belles.
Sans doute, la source qui descendait le coteau feuillu ou le pieux
Valery s'arreta etait une des sources sacrees auxquelles ces hommes
faisaient des offrandes. Elle coule encore au pied de la chapelle, du
cote de la baie. Comme aux anciens jours, l'eau en est fraiche et toute
claire. Mais, maintenant elle ne chante plus. Elle n'est plus libre
comme au temps de sa rustique divinite. On l'a emprisonnee dans une cuve
de pierre a laquelle on accede par plusieurs degres. Du temps de saint
Valery, c'etait une nymphe. Nulle main n'avait ose la retenir, elle
fuyait sous les saules. Semblable a ces ruisseaux qu'on voit encore en
grand nombre dans les vallees du pays, elle formait, de distance en
distance, de petits lacs ou sommeillait, sur un l
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