uriers.
A la nouvelle de la capitulation de Rouen, les mobiles de l'Ardeche
recurent l'ordre de quitter la ville de Vernon qu'ils avaient si
genereusement defendue. Voila les souvenirs que rappelle le monument de
Bizi.
J'ai voulu, feuilletant la petite ville comme un livre, resumer deux ou
trois de ses pages de pierre. Les villes, ne sont-ce point des livres,
de beaux livres d'images ou l'on voit les aieux.
III
SAINT-VALERY-SUR-SOMME
Saint-Valery-sur-Somme, vendredi 13 aout.
De la chambre ou j'ecris, on decouvre toute la baie de la Somme, dont le
sable s'etend a l'horizon jusqu'aux lignes bleuatres du Crotoy et du
Hourdel. Le soleil, en s'inclinant, enflamme le bord des grands nuages
sombres. La mer monte et deja, du cote du large, les bateaux de peche
s'avancent avec le flot. Sous ma fenetre, des barques amarrees au bord
du chenal portent a leur mat, au lieu de voilure, des filets qui
sechent. Cinq ou six pecheurs, plonges a mi-corps dans la maigre
riviere, epient le poisson qu'autour d'eux des rabatteurs effrayant en
frappant l'eau a grands coups de gaule. Ces pecheurs sont armes d'une
baguette pointue dont ils piquent adroitement leur proie. Chaque fois
qu'ils levent hors de l'eau leur arme flexible, on voit briller a la
pointe une sole transpercee.
Un vent sale fait voltiger les papiers sur ma et m'apporte une acre
odeur de maree. Des troupes innombrables de canards nagent sur le bord
du chenal et jettent a plein bec dans l'air leur coin coin satisfait.
Leurs battements d'ailes, leurs plongeons dans la vase, leur dandinement
quand ils vont de compagnie sur le sable, tout dit qu'ils sont contents.
Un d'eux repose a l'ecart, la tete sous l'aile. Il est heureux. A la
verite, on le mangera un de ces jours. Mais il faut bien finir; la vie
est enfermee dans le temps. Et puis le malheur n'est pas d'etre mange.
Le malheur, c'est de savoir qu'on sera mange; et il ne s'en doute pas.
Nous serons tous devores; nous le savons, nous; la sagesse est de
l'oublier.
Suivons la digue, pendant que la mer, qui a deja couvert les bancs de
Cayeux et du Hourdel, entre dans la baie par de rapides courants et
ramene la flottille des pecheurs de crevettes. Nous avons a notre gauche
les remparts, que la Somme et la mer baignaient naguere, et dont les
vieux gres ont ete couverts par l'embrun d'une rouille doree. L'eglise
eleve sur ces remparts ses cinq pignons aigus, perces, au XVe siecle, de
grandes baies a ogives, s
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