raiment desole que sa taille ne fut pas aussi jolie
que ses yeux.
Le lendemain, je me reveillai par un grand soleil, avec la langue seche
et la peau brulante. Surtout je souffrais de ne pouvoir me rappeler ce
que j'avais dit la veille a Mme Planchonnet, et j'avais tout lieu de
croire que c'etaient des sottises.
Ma tante ne me cacha pas qu'elle considerait ma rentree tardive comme un
manque d'egards pour sa maison. Quand je lui revelai fierement que
j'avais fait recevoir ma Clemence Isaure a l'Independant, elle se facha
tout rouge, et m'envoya sur-le-champ retirer le manuscrit, afin de
prevenir le malheur d'une insertion dont la seule idee la terrifiait.
J'allai donc, la tete basse, redemander mon oeuvre a Planchonnet, qui me
la rendit d'une ame egale, comme il l'avait prise.
"Qu'est-ce que vous faites ce soir? me dit-il. Venez donc diner a la
maison. Nous mangerons les restes."
Je refusai, en consideration de ma tante. Quelques jours apres, je fis
une visite a Mme Planchonnet, que je trouvai assise devant un bouquet de
fleurs des champs, remettant un fond a la culotte de son fils aine. Nous
fumes l'un envers l'autre d'une extreme reserve. Il pleuvait. Nous
parlames de la pluie.
"C'est bien triste, lui dis-je.
--N'est-ce pas? me dit-elle.
--Vous aimez les fleurs, Madame?
--Je les adore."
Et elle tourna vers moi ses jolis yeux fleuris sur un visage fane.
Je quittai Corbeil la semaine suivante. Et je ne vis jamais plus Mme
Planchonnet.
X
LES DEUX COPAINS
C'etait dans les dernieres annees du second Empire. Jean Meusnier et
Jacques Dubroquet occupaient par moitie un atelier au fond d'une cour,
pres du cimetiere Montparnasse. Tout le rez-de-chaussee appartenait a
des marbriers, qui encombraient la cour de tombes blanches, de croix et
d'urnes funeraires.
Une poussiere de marbre et de platre etendait sur le sol son linceul
sali. L'atelier etait pose comme une grande cage vitree sur les magasins
des tailleurs de pierres funeraires; a l'interieur, un poele de fonte,
deux chevalets et des chaises de paille defoncees. La poudre des
marbres, qui penetrait par les fentes de la porte et des chassis,
recouvrait seule la nudite livide des murs et du carrelage.
Jacques Dubroquet etait peintre d'histoire, et Jean Meusnier paysagiste.
Ce paysagiste ressemblait a un arbre; il en avait la rude ecorce, la
forte seve, la paix et le silence. Ses cheveux drus se dressaient sur
son front rugueux, comme
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