rt me laissa pensif en face de Planchonnet, qui
versait des liqueurs. Je lui trouvai l'air d'une brute. Sa tranquillite
pesante m'irritait. Mais j'etais inspire par les sentiments les plus
nobles. Je souhaitai interieurement qu'il eut une belle ame et que j'en
eusse une plus belle encore, afin que Mme Planchonnet fut aimee de deux
hommes dignes d'elle.
C'est pourquoi je resolus de sonder le coeur de Planchonnet.
"Monsieur, lui dis-je, vous exercez une belle profession.
--Ah! me repondit-il, en allumant sa pipe, vous trouvez ca beau de
rediger des canards dans les departements. Et des canards clericaux. Je
travaille pour la calotte. Mais on ne choisit pas son parti, n'est-il
pas vrai?"
Et il se mit a fumer tranquillement sa pipe en ecume de mer, sur
laquelle une femme nue etait sculptee voluptueusement.
Je lui demandai:
"Monsieur Planchonnet, connaissez-vous ma tante?"
Il me repondit:
"Je ne connais personne a Corbeil. Il y a six mois, j'etais a Gap ... Un
peu d'anisette, n'est-ce pas?"
Un immense besoin de tendresse s'etait developpe en moi. Il me venait de
l'amitie pour Planchonnet. Je lui temoignai de la familiarite, de
l'interet et surtout de la confiance. Je lui contai ma vie; je lui fis
part de mes esperances et de mes reves.
Il cessa de fumer. Je parlai encore. Enfin, m'etant apercu qu'il
sommeillait, je me levai, lui souhaitai le bonsoir et lui exprimai le
desir de presenter mes hommages a Mme Planchonnet. Il me fit entendre
que je ne pourrais le faire, parce qu'elle etait couchee. J'en fus aux
regrets et cherchai mon chapeau, que j'eus grand'peine a trouver.
Planchonnet me reconduisit avec une lampe jusqu'au palier et me donna,
sur la maniere de tenir la rampe et de descendre les marches, des
conseils qu'on me donne pas d'ordinaire. Mais l'escalier etait
apparemment un difficile escalier, car j'y trebuchai des les premiers
degres. Tandis que je descendais, Planchonnet, penche sur la rampe, me
demanda si je retrouverais bien la maison de ma tante. Cette question
m'offensa. Je promis de la trouver sans peine; en quoi je m'engageais
beaucoup trop, car je passai une partie de la nuit a la chercher.
Pendant cette recherche, je m'impatientais de la maladresse avec
laquelle on met parfois les deux pieds dans les ruisseaux. Cependant, je
roulais vainement dans ma tete l'action d'eclat par laquelle je pourrais
exciter l'admiration de Mme Planchonnet. Je songeais a ses jolis yeux
bleus, et j'etais v
|