ses petits, sa
femme et son convive, et disait, avec un rire affreux, des choses
innocentes.
Mais c'etait en versant a boire qu'il montrait toute sa magnificence
d'ogre bon enfant. De ses enormes bras, il tirait par le goulot, sans se
baisser, quelqu'une des bouteilles amassees a ses pieds et versait des
rouges-bords a sa femme qui refusait en vain, aux enfants deja endormis,
une joue dans leur assiette, et a moi, malheureux, qui avalais sans
gouter, les vins rouges, roses, blancs, ambres ou dores, dont il
proclamait, d'une voix joyeuse, l'age et le cru, sur la foi de l'epicier
qui les lui avait vendus. Nous vidames ainsi un nombre que j'ignore de
bouteilles diversement cachetees. Apres quoi, j'exprimais a mon hotesse
des sentiments nobles et tendres. Tout ce que j'avais dans l'ame
d'heroique et d'amoureux se pressait a mes levres. Je poussais la
conversation au sublime. Mais j'eprouvais une reelle difficulte a l'y
maintenir, car, si M. Planchonnet approuvait de la tete mes speculations
les plus transcendantes, il n'y donnait aucune suite et me parlait
incontinent du choix et de la preparation des champignons comestibles ou
de quelque autre sujet culinaire. Il avait dans la tete un parfait
cuisinier et une bonne geographie gastronomique de la France. Parfois
aussi, il rapportait des traits d'esprits de ses enfants.
Je m'entendais mieux avec Mme Planchonnet qui declara a plusieurs
reprises qu'elle avait le gout de l'ideal. Elle me confia qu'elle avait
lu autrefois une poesie qui l'avait transportee, mais dont elle ne se
rappelait plus l'auteur, parce qu'elle se trouvait dans un livre qui
renfermait des morceaux de differents poetes.
Je recitais tout ce que je savais d'elegies. Mais les vers se perdirent
pour la plupart dans les cris des enfants qui s'entregriffaient
horriblement sous la table.
Au dessert, je connus que j'aimais Mme Planchonnet. Et cet amour etait
si genereux que, loin de l'etouffer dans mon coeur, je le repandais en
longs regards et en paroles abondantes. Je m'expliquai sur la vie et la
mort et j'ouvris mon ame tout entiere a Mme Planchonnet qui, laissant
couler ses paupieres sur ses beaux yeux bleus, et penchant son visage
amaigri que plissait la fatigue, me disait d'une voix molle: "N'est-ce
pas, Monsieur?" et tachait de sourire.
J'avais encore beaucoup a lui dire quand elle nous quitta pour aller
coucher les petits qui, les jambes en l'air, dormaient profondement sur
leurs chaises. Ce depa
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