on manuscrit.
"Je le lirai, me dit-il. Revenez samedi ..." Je sortis dans un trouble
affreux et souhaitant que la fin du monde et la conflagration
universelle survinssent avant ce samedi, tant une nouvelle rencontre
avec le redacteur en chef m'effrayait. Mais le monde ne finit pas, le
samedi vint et je revis M. Planchonnet.
"A propos, me dit-il, j'ai lu votre petite chose; c'est tres gentil. Je
la mettrai dans le canard. Qu'est-ce que vous faites demain soir? Venez
donc manger la soupe a la maison. Je demeure place Saint-Guenault,
vis-a-vis de la Tour carree. Ce sera en famille. Et sans ceremonie."
J'acceptai avec beaucoup de reconnaissance.
Le lendemain, a six heures, je trouvai M. Planchonnet dans son salon,
avec deux ou trois enfants sur les genoux et d'autres sur les epaules.
Il en avait jusque dans ses poches. Ils l'appelaient papa et le tiraient
par la barbe. Il portait une redingote neuve, du linge blanc, et sentait
la lavande.
Une femme entra, blanche et frele, un peu fanee, mais agreable avec ses
cheveux d'or pale et ses yeux de pervenche, gracieuse malgre sa taille
defaite.
"C'est Mme Planchonnet", me dit-il.
Les enfants (je reconnus qu'il n'y en avait que six) etaient gros et
rudes, charges en couleur, beaux d'une certaine facon. Leurs jambes et
leurs bras nus formaient autour de leur pere colossal un emmelement de
chairs fraiches, et leurs yeux farouches me regardaient tous a la fois.
Mme Planchonnet s'excusa de leur impolitesse.
"Nous ne restons pas longtemps dans le meme endroit; ils n'ont le temps
de connaitre personne; ce sont de petits sauvages; ils ignorent tout. Et
comment voulez-vous qu'ils apprennent quelque chose en changeant de
pension tous les six mois? Henri, l'aine, a onze ans passes. Il ne sait
pas encore un mot de catechisme. Je ne sais vraiment pas comment nous
lui ferons faire sa premiere communion ... Votre bras, Monsieur."
Le diner etait abondant. Une jeune paysanne, attentivement surveillee
par Mme Planchonnet, apportait des plats et des plats encore: tourtes,
rotis, pates, fricassees et d'enormes volailles que notre hote, sa
serviette sous le menton, la fourchette a trois dents d'une main, et de
l'autre le couteau a manche en pied de biche, faisait placer devant lui,
en montrant toutes ses dents et en roulant des yeux terribles au milieu
des poils de son visage. Les coudes arrondis, il decoupait avec facilite
les chairs blanches ou noires, servait lui-meme largement
|