paix un peu triste me charmait, je
vis, sur la porte d'une maison basse, tapissee de glycine, un ecriteau
blanc ou l'on lisait en lettres noires: l'Independant, journal
quotidien, politique, commercial, agricole et litteraire. Cette
inscription reveilla mes pensees de gloire. J'etais tourmente depuis
quelques mois du desir de faire imprimer ma Clemence Isaure. Ambitieux
et modeste, il me semblait que cette maison paisible, cachee dans le
feuillage, offrirait un asile convenable a ma premiere oeuvre, et des
lors l'idee germa dans ma tete de porter mon manuscrit a l'Independant.
La vie que je menais a Corbeil etait douce et monotone. Ma tante me
contait, a diner, sa brouille avec le docteur Germond, laquelle,
survenue dix ans en ca, l'occupait encore; elle gardait pour le cafe ses
histoires de M. l'abbe Laclanche, homme excellent, mais fatigue par
l'age et l'embonpoint, qui dormait au confessionnal pendant que ma tante
lui disait ses peches. Apres quoi, l'excellente femme m'envoyait coucher
en me recommandant de ne pas fumer dans mon lit.
Un jour, etant seul au salon, je remuai par ennui les journaux qui se
trouvaient sur le gueridon d'acajou. C'etaient des numeros de
l'Independant, auquel ma tante etait abonnee. De petit format, avec des
caracteres uses sur un papier trop mince, l'Independant avait un air de
modestie qui m'encourageait.
J'en parcourus deux ou trois numeros; le seul article litteraire que j'y
trouvai, avait pour titre: Une petite soeur de Fabiola. Il etait signe
d'un nom de femme. Je reconnus avec plaisir qu'il etait dans le genre de
ma Clemence Isaure, mais plus faible. Et cette consideration me
determina a porter mon manuscrit au redacteur en chef du journal. Son
nom etait inscrit sous le titre: Planchonnet.
Je fis un rouleau de ma Clemence Isaure, et, sans instruire ma tante de
la demarche que j'allais tenter, je me rendis, avec un peu de fievre, a
la maison tapissee de glycine. M. Planchonnet me recut tout de suite
dans son cabinet. Il ecrivait, ayant mis bas son habit et son gilet.
C'etait un geant, et le plus velu que j'eusse encore rencontre. Il etait
tout noir, faisait a chaque mouvement un bruit de crins froisses et
sentait le fauve. Il ne s'arreta point d'ecrire a ma venue et, suant,
soufflant, la poitrine a l'air, il acheva son article; puis, il posa sa
plume et me fit signe de parler.
Je lui balbutiai mon nom, le nom de ma tante, l'objet de ma visite, et
je lui tendis en tremblant m
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