amais trouve sur les quais
aucune edition originale de Moliere ou de Racine, mais ce qui vaut mieux
encore que le Tartufe avant les cartons ou l'Athalie in-4, j'y ai
trouve des lecons de sagesse. Tout ce papier barbouille m'a enseigne la
vanite du succes qui passe et des celebrites ephemeres. Je ne peux
fouiller la boite a deux sous sans me sentir aussitot envahi par une
paisible et douce tristesse, et sans me dire: A quoi bon ajouter a tout
ce papier noirci quelques pages encore? Il serait meilleur de ne point
ecrire.
VIII
LE GARDE DU CORPS
Eleve sur le quai Voltaire, dans la poussiere des livres et des
bibelots, au milieu des bouquineurs et des fureteurs de toute sorte,
j'ai connu tout enfant des amateurs de faience, d'armes, d'estampes, de
medailles. J'en ai connu qui ne cherchaient que des ouvrages en fer et
j'en ai connu qui ne cherchaient que des ouvrages en bois; j'ai connu
des bibliophiles et des bibliomanes; et je n'ai point vu qu'ils
meritassent les railleries du vulgaire. Je puis vous assurer que tous
ces gens singuliers ont le gout delicat, l'esprit orne, les moeurs
douces; et mon amitie pour les bonnes gens qui mettent toutes sortes de
choses dans leurs armoires date des premiers jours de ma vie.
Du temps que j'etais le plus maigre, le plus timide, le plus gauche et
le plus reveur des rhetoriciens, je passais avec delices mes jours de
conge chez Leclerc jeune, qui vendait alors des armures anciennes dans
une petite boutique basse du quai Voltaire. Leclerc jeune etait vieux.
C'etait un petit homme herisse, boiteux comme Vulcain, qui, ceint d'un
tablier de serge, limait du matin au soir des armes serrees dans un
etau, sur le bord de son etabli.
Il polissait sans cesse d'antiques epees qui, desormais innocentes,
devaient, au sortir de ses mains, achever paisiblement leur destinee
dans quelque panoplie de chateau. Sa boutique etait pleine de
hallebardes, de morions, de salades, de gorgerins, de cuirasses, de
greves et d'eperons, et il me souvient d'y avoir vu une targe du XVe
siecle, toute peinte de devises galantes et telle que ceux qui ne l'ont
point vue ont manque de respirer une merveilleuse fleur de chevalerie.
Il y avait la des lames de Tolede et des armures sarrasines d'une grace
infinie; ces casques ovales d'ou tombait un reseau de mailles d'acier
fin comme la mousseline, ces boucliers damasquines d'or m'ont donne dans
mon jeune age une vive admiration pour les emirs exquis et terribl
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