es qui
combattaient contre les barons chretiens a Ascalon et a Gaza; et si
maintenant encore je prends tant de plaisir a lire la tragedie de Zaire,
c'est sans doute parce que mon imagination se plait a parer de ces
belles armes l'aimable et malheureux Orosmane. A vrai dire, les casques
et les boucliers de Leclerc jeune ne dataient pas des croisades; mais
j'etais enclin a voir dans la boutique de mon vieil ami la cotte de
Villehardouin et le cimeterre de Saladin.
C'etait l'effet de mon enthousiasme reveur, et je dois declarer que
l'armurier n'y aidait point. Il limait beaucoup et ne parlait guere.
Jamais je ne l'entendis vanter ses armes, hors deux ou trois epees de
bourreau qu'il tenait pour de bonnes pieces. Leclerc jeune etait un
honnete homme, ancien garde royal, tres estime de ses clients.
Il n'en avait pas de plus familier ni de plus assidu que M. de Gerboise,
vieux royaliste, a qui il souvenait d'avoir fait la chouannerie en 1832,
avec Mme la duchesse de Berri, et qui amusait sa vieillesse a meubler
d'epees historiques sa salle d'armes du chateau de Mauffeuges, aux
Rosiers. Ce grand vieillard, qui avait ete garde du corps de Charles X,
abondait en recits de cour et en genealogies qu'il debitait d'une voix
de tonnerre, dans un langage qui me semblait ancien et qui etait
provincial. M. de Gerboise etait bon gentilhomme, avec un air paysan et
un parler rustique. La face rougeaude sous une abondante criniere
blanche, grand, gros, fier encore de ses mollets, qui avaient ete les
plus beaux du royaume, vers 1827, jurant Dieu et tous les saints de
l'Anjou, violent et finaud, pieux, bretteur et paillard, il m'amusait
infiniment par la verdeur de ses propos et par l'abondance de ses
anecdotes.
Il traitait avec quelque consideration Leclerc jeune, qui avait ete
garde royal et qui, dans sa simplicite laborieuse, tenait plus de
l'artisan que du brocanteur. Et, parvenu a l'age ou l'on a perdu tous
les compagnons des jeunes annees, le vieux chouan de 1832 se plaisait a
rappeler devant l'ancien soldat de la Restauration les souvenirs de leur
commune jeunesse.
Tandis qu'il parlait, je me faisais tout petit dans mon coin pour qu'on
ne m'apercut pas, et j'ecoutais.
Que de fois je l'entendis conter les souvenirs de la Revolution de 1830
et le voyage royal de Cherbourg! C'est un recit qu'il terminait toujours
en s'ecriant:
"Le marechal Maison, quel gueux!"
Leclerc ne manquait pas d'ajouter:
"Pendant trois jours, mon
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