est en elle et que, pour petite qu'elle est,
elle est precieuse. Il l'admire a sa maniere. Il la trouve mignonne. Il
admire comme elle sait jouer et parler. Il l'aime, il la leche par
sympathie.
Jacqueline, de son cote, trouve Miraut admirable. Elle voit qu'il est
fort, et elle admire la force. Sans cela, elle ne serait point une
petite fille. Elle voit qu'il est bon, et elle aime la bonte. Aussi bien
la bonte est-elle une chose douce a rencontrer.
Elle a pour lui un sentiment de respect. Elle observe qu'il connait
beaucoup de secrets qu'elle ignore et que l'obscur genie de la terre est
en lui. Elle le voit enorme, grave et doux. Elle le venere comme sous un
autre ciel, dans les temps anciens, les hommes veneraient des dieux
agrestes et velus.
Mais voici que tout a coup, elle est surprise, inquiete, etonnee. Elle a
vu son vieux genie de la terre, son dieu velu, Miraut, attache par une
longue laisse a un arbre, au bord du puits. Elle contemple, elle hesite,
Miraut la regarde de son bel oeil honnete et patient. Il n'est ni
surpris ni fache d'etre a la chaine; il aime ses maitres, et, ne sachant
pas qu'il est un genie de la terre et un dieu couvert de poil, il garde
sans colere sa chaine et son collier. Cependant Jacqueline n'ose
avancer. Elle ne peut comprendre que son divin et mysterieux ami soit
captif, et une vague tristesse emplit sa petite ame.
VI
LES DEUX TAILLEURS
La tunique ne me parait pas tres convenable aux lyceens, parce que ce
n'est point un vetement civil, et qu'en la leur imposant on entreprend
sans raison sur leur independance. Je l'ai portee, et j'en garde un
mauvais souvenir.
Il faut vous dire qu'il y avait de mon temps, dans le college ou j'ai
appris fort peu de choses, un tailleur habile nomme Gregoire. M.
Gregoire n'avait pas son pareil pour donner a une tunique ce qu'il faut
qu'ait cette tunique: des epaules, de la poitrine et des hanches.
M. Gregoire vous enjuponnait les pans avec une venuste singuliere. Il
taillait des pantalons a l'avenant: bouffants de la hanche et faisant un
peu guetre sur la bottine.
Et, quand on etait habille par M. Gregoire, pour peu qu'on sut porter le
kepi, en relevant la visiere selon la mode d'alors, on avait une tres
jolie tournure.
M. Gregoire etait un artiste. Lorsque, le lundi, pendant la recreation
de midi, il apparaissait dans la cour portant sur le bras sa toilette
verte qui enveloppait deux ou trois chefs-d'oeuvre de tunique, les
e
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